Dark skinned woman with a short pixie cut wearing black long sleeved turtle neck shirt and bold gold earrings, sits at her work station with a measuring tape around her neck. Her face in the image is framed by a sewing machine in the front.

Espérance est assise à son poste de travail alors qu’elle se met au travail sur sa dernière pièce de mode créative. ©HCR/Ian Patterson

Une designer et réfugiée d’origine Congolaise implante la mode africaine dans une petite ville de l’Ontario

Par Sarah Bilson


Espérance « Esperanza » Tabisha imaginait-elle, alors qu’elle cousait des robes à Kakuma, qu’elle vivrait un jour de sa passion pour le design de l’autre côté de l’Atlantique ?


Nous nous sommes rencontrées en septembre 2021 ; elle depuis son ordinateur à Cambridge, en Ontario, et moi à Montréal, au Québec, afin de discuter de son parcours extraordinaire qui l’a menée de la République démocratique du Congo au Canada.

Elle m’a accueillie chaleureusement, souriante et toute vêtue de tissus colorés. De chez elle, on entendait les bruits d’une maison remplie de vie – le babillage de ses jumeaux nouveau-nés alors qu’elle commençait à me raconter son histoire.

Espérance arrive en Ontario du camp de réfugiés de Kakuma, au Kenya, où elle s’est fait connaître pour son esprit d’entreprise et sa boutique de mode et de design. Originaire du Congo, la mère de 30 ans s’est vue forcée de fuir son pays en 2010, craignant pour sa vie.

Elle a traversé le Rwanda afin de se rendre à Nairobi par autobus. Elle s’est retrouvée par la suite dans un camp de réfugiés du nord-ouest du Kenya, soit le foyer de près de 200 000 autres personnes qui ont fui, la guerre, la violence et la persécution, dans l’espoir de trouver la sécurité.

Bâtir une nouvelle vie, de fil en aiguille

Dès son arrivée au camp, Espérance emprunte une machine à coudre et décide de se mettre au travail. Avec une formation en mode du Lycée français Chemchem au Congo, elle se met rapidement à la couture, ce qui lui permet de mettre de l’argent de côté et de développer sa passion et son talent pour le design. Un an plus tard, elle achète sa première machine à coudre et redouble d’efforts en apprenant l’anglais — la seule façon de créer des relations à long terme avec ses nouveaux clients.

« De toutes les personnes dans le camp, j’étais la seule qui avait une entreprise en ligne ! »

Elle crée des robes, des chandails et des costumes pour sa clientèle habitant le camp, ainsi que pour la population kényane et les travailleurs humanitaires de la ville voisine. De plus, grâce au soutien de son mari qui prend soin des deux enfants nés dans le camp, elle décide de devenir entrepreneure en créant sa propre marque de vêtements. C’est ainsi que la « Esperanza Fashion and Design » est née, donnant à Espérance les moyens de nourrir sa famille.

Puis, en 2017, elle a l’idée de partager les fruits de son entreprise sur les réseaux sociaux, afin de se faire connaître et de développer une clientèle à l’extérieur du camp. Elle publie des images de ses créations accompagnées de mot-clics.

« J’ai ouvert la page Facebook et Instagram ‘Esperanza Fashion and Design’ et c’est devenu viral, » dit-elle avec enthousiasme. « De toutes les personnes dans le camp, j’étais la seule qui avait une entreprise en ligne ! »

Cette attention nouvelle lui vaut des invitations à participer dans des conférences à Nairobi et des entrevues avec les médias internationaux comme BBC Afrique et le journal français Le Monde. En 2018, elle est également sélectionnée afin d’incarner la « Meilleure designer de mode » lors du passage de TEDx dans le camp Kakuma.

Prendre racine au Canada 

En avril 2019, la designer et sa famille ont l’opportunité de venir s’installer au Canada, grâce au « Programme mixte des réfugiés désignés par un bureau des visas (RDBV) » du gouvernement canadien. Ce programme aide les réfugiés identifiés par le HCR à se réinstaller au Canada, grâce à l’appui financier du gouvernement canadien et des répondants privés.

« Le processus de réinstallation s’est bien déroulé. Ils étaient attentionnés. Le programme est vraiment excellent, c’est allé très vite. »

Bien décidée à augmenter la visibilité de la marque « Esperanza Fashion & Design » de façon durable, elle et sa famille arrivent au Canada en septembre de la même année.

« Le processus de réinstallation s’est bien déroulé. Ils étaient attentionnés. Le programme est vraiment excellent, c’est allé très vite. Cela a commencé au mois d’avril et en septembre nous étions au Canada », explique-t-elle.

Dark skinned woman with a short pixie cut wearing black long sleeved turtle neck shirt and bold gold earrings, has measuring tape around her neck is looking down at her fabric.

Espérance démarre avec enthousiasme son nouveau projet. ©HCR/Ian Patterson

Un peu confus et heureux à la fois, Espérance et les membres de sa famille ont pu trouver un lieu d’accueil tranquille où ils se sont sentis tout de suite à leur aise. La famille a pu compter sur la solidarité et l’ouverture des habitants de Cambridge et en particulier l’accueil chaleureux de la communauté d’une église anglicane.

« Les Canadiens sont tellement gentils, très sociaux, c’est facile de s’entendre avec eux », ajoute-t-elle.

Fidèle à elle-même, il n’a pas fallu beaucoup de temps à Espérance pour développer de nouvelles racines. De fil en aiguille, elle entre en contact avec des personnes qui la conseillent et l’introduisent à une communauté empathique envers son incroyable odyssée. Devant cette femme pleine de détermination avec un sens du style inné qui ne fait aucun doute sur son talent, sa communauté d’accueil s’est rassemblée pour lui offrir ce qui allait lui permettre de relancer son entreprise sur le sol canadien.

« J’ai quatre machines à coudre. Trois machines domestiques et une machine industrielle. Je n’ai pas eu à dépenser, c’était tout en cadeau, je n’ai pas pu dire non ! ».

Ayant une soif d’apprendre constante en tant que femme d’affaires, Espérance saisit plusieurs opportunités de parfaire son éducation en suivant divers programmes d’entreprenariat au collège Conestoga, ainsi que des cours d’informatique au YMCA, qui offre des formations pour les nouveaux arrivants. Cela lui permet entre autres de bénéficier de mentorat, mais également de rencontrer d’autres femmes entrepreneures et de développer son réseau.

Un défi mode canadien unique

C’est cependant en passant ses premiers mois d’hiver au Canada que son expérience de designer de mode a pris une tournure importante.

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Espérance utilise de la craie pour marquer son tissu pour la coupe et la couture. ©HCR/Ian Patterson
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Espérance coupe du tissu. ©HCR/Ian Patterson
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Espérance coud. ©HCR/Ian Patterson
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Espérance-modèle son cardigan unique en son genre. ©HCR/Ian Patterson

« Il y a tellement de défis, la plus grande différence avec l’Afrique, c’est le climat. Les gens ne peuvent pas s’habiller de la façon qu’ils veulent à cause de la météo ! »

« Je sais que cela peut être difficile, mais je m’aide en me rappelant le chemin traversé depuis le camp des réfugiés, comment j’ai commencé. Je ne savais pas parler anglais, je ne connaissais rien aux affaires, maintenant je sais. Et puis, de venir ici, j’ai senti que la vie me donnait une deuxième chance »

Pas de problème, que des solutions ! Cet obstacle d’apparence s’avère un réel catalyseur de création pour la designer qui affine son plan d’entreprise en s’orientant vers une collection toute saison, ce à quoi elle ajoute un atout essentiel : des tissus imprimés africains. Elle nous explique que les tissus sont les seuls éléments qu’elle a pu rapporter de son ancienne boutique au Kenya, pour en faire son point de départ et tout recommencer.

« La plupart des Africains s’habillent avec des tissus imprimés de la tête aux pieds. Je veux créer quelque chose que les Canadiens, les Caribéens, les Asiatiques et presque toutes les cultures peuvent avoir envie de porter. »

Dark skinned woman with a short pixie cut wearing black long sleeved turtle neck shirt and bold gold earrings, holds turquoise fabric with magenta and black flower patterns on it.

Espérance détient l’un de ses tissus à motifs préférés. ©HCR/Ian Patterson

Malheureusement, comme bon nombre d’entrepreneurs canadiens, la créatrice a été frappée durement durant la pandémie, alors qu’elle réfléchissait à la création d’une nouvelle collection qui métisse les cultures canadiennes et africaines, par l’entremise de petits accessoires.

Devant cette situation, Espérance reste optimiste, reconnaissante pour le progrès  déjà réalisé jusqu’à présent et confiante face aux prochaines étapes de sa carrière.

« Je sais que cela peut être difficile, mais je m’aide en me rappelant le chemin traversé depuis le camp des réfugiés, comment j’ai commencé. Je ne savais pas parler anglais, je ne connaissais rien aux affaires, maintenant je sais. Et puis, de venir ici, j’ai senti que la vie me donnait une deuxième chance ».

Récemment devenue maman de jumeaux de 6 mois, son temps est partagé entre ses quatre enfants et son entreprise de commerce électronique. La créatrice ne cache pas son émotion quant à la joie de savoir que ses enfants pourront bénéficier d’une meilleure éducation qui leur permettra un futur plus radieux.

Hautement motivée, Espérance prépare son retour en force avec un « Esperanza Fashion & Design » plus percutant, qu’elle souhaite diffuser en ligne. Lorsqu’on l’interroge sur ses rêves, elle répond sans hésiter : « Je veux vendre mes produits à travers le Canada, et je veux retourner au camp de réfugiés en tant qu’ambassadrice du HCR. J’ai toujours voulu redonner à la communauté et je sais qu’aujourd’hui je suis ici grâce au HCR, ceux qui m’ont aidée à me tirer de là ».  

Cette histoire a été produite par UPPL. Sarah Bilson détient une Maîtrise en archéologie de l’Université Paris-Sorbonne. Basée à Montréal, elle travaille dans la gestion et médiation pour des organismes artistiques et culturels. Vous pouvez la retrouver sur Instagram ici.

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