Saleema a grandi dans une communauté de réfugiés turkmènes d’Afghanistan sans accès facile à l’éducation. Elle a pris une revanche sur son destin en devenant médecin.
Le moniteur cardiaque émet un battement lent et régulier, tandis qu’un groupe de médecins se réunit autour d’une table d’opération. La lumière illumine l’estomac d’une femme.
D’un signe de tête, le docteur Saleema Rehman signale qu’elle est prête.
Réfugiée afghane au Pakistan, la jeune femme de 28 ans s’est heurtée toute sa vie à des obstacles dans sa quête d’instruction.
Aujourd’hui, après près de trois décennies d’études, Saleema a déjoué son destin en devenant la toute première femme médecin turkmène réfugiée au Pakistan. En quelques heures, elle procédera à l’ablation d’un kyste ovarien et transformera la vie de sa patiente.
« J’ai le devoir d’aider ces femmes », dit-elle chaleureusement. « Je me sens si chanceuse. Dans ma communauté, beaucoup de filles n’ont pas cette chance. Je pense que c’est mon destin. »
« J’ai le devoir d’aider ces femmes. »
Ce sens du devoir l’a amenée à se spécialiser en gynécologie. Chaque jour, elle assiste à la naissance d’environ cinq bébés à l’hôpital de la Sainte Famille de Rawalpindi, et prend soin de 40 femmes dans chaque salle, dont beaucoup vivent dans la pauvreté. Les soins sont gratuits. Cependant, il y a deux patients pour chaque lit et elle travaille de longues heures afin de pouvoir s’occuper de tous.
« Parfois, nous dînons à 2 heures du matin », explique-t-elle depuis la salle du personnel de l’hôpital. Sa première priorité, ce sont les gens, et ce même ici, car elle offre de l’eau à une collègue épuisée et enroule une couverture autour de ses épaules. « Nous devons faire abstraction de notre faim. »
En arriver là a été le combat de toute une vie.
Ayant grandi dans une communauté de réfugiés turkmènes du nord-ouest du Pakistan, les attentes culturelles et l’insécurité ont été synonymes pour Saleema d’une bataille sans fin pour son instruction. En tant que réfugiée, cette bataille était deux fois plus ardue – mais elle n’était pas seule.
Son père, qui a fui l’Afghanistan à l’âge de 13 ans, était à ses côtés à chaque pas. Il a contribué à l’ouverture d’écoles et a plaidé en faveur de l’éducation des filles. Le jour, il vendait des bananes pour que sa fille puisse faire de son rêve une réalité. La nuit, il dessinait des tapis.
Finalement, après des années d’études, l’obtention d’une bourse très prisée offerte par le Pakistan a rendu possible la carrière médicale de Saleema.
« Saleema a postulé pendant trois années consécutives pour des bourses d’études médicales », raconte son père Abdul, 49 ans. « Elle luttait contre vents et marées pour réaliser son rêve. Nous avons été confrontés à l’opposition de nos aînés qui nous disaient que nous ne devions pas envoyer les enfants à l’école, mais finalement, nous avons gagné. On a récolté les fruits de ce pourquoi on a beaucoup lutté. »
Trois ans après sa nomination à l’hôpital de la Sainte Famille, Saleema est épanouie. Sa superviseure, Humaira Bilqis, l’a aidée à cultiver son talent.
« Elle sort de l’ordinaire », dit la gynécologue. « Elle a travaillé si dur toute sa vie. Quel que soit le défi que nous lui lançons, elle ne dit jamais non – de jour comme de nuit, elle n’hésite pas. Elle ne m’a jamais déçue. Je suis très fière d’elle. »
« Je ne savais même pas qu’elle était réfugiée », ajoute-t-elle, rayonnante de fierté. « Je ne la vois pas comme ça. Nous n’avons jamais pensé qu’elle n’était pas pakistanaise. Elle est l’une des nôtres. Elle est un atout pour ce pays. Maintenant que je le sais, je suis encore plus fier d’elle. »
« Elle ne m’a jamais déçue. »
L’année prochaine, Saleema terminera enfin sa spécialisation en gynécologie. Mais, en tant que réfugiée, son avenir de médecin au Pakistan est incertain.
« La formation est autorisée, les études sont autorisées », dit-elle. « Mais que faire après ? Si le gouvernement pakistanais permet aux réfugiés afghans de travailler ici, nous pouvons être très utiles à notre communauté, et je peux aussi travailler pour les Pakistanais. »
Si Saleema réussit, elle espère inspirer d’autres filles réfugiées.
« Chaque fois que je rentre chez moi, les femmes viennent me voir et me disent qu’elles sont très fières. Je suis si heureuse que peut-être leurs idées changeront et qu’elles enverront leurs filles à l’école. Je veux qu’elles reçoivent une éducation. Cela changera tout pour les générations à venir. »
« Même ma nièce veut devenir médecin », ajoute-t-elle en riant. « Elle prend toujours mon stéthoscope. Elle m’appelle Docteur Tante. »
Les efforts visant à rapprocher les réfugiés et leurs communautés d’accueil s’inscrivent dans le cadre d’une approche plus large visant à trouver de nouvelles réponses aux déplacements et à améliorer l’intégration socioéconomique et l’autonomie des réfugiés. L’éducation, en particulier, sera l’un des thèmes prioritaires du Forum mondial sur les réfugiés, une conférence de haut niveau qui se tiendra à Genève la semaine prochaine et dont le Pakistan est l’un des coorganisateurs.
Entre temps, Saleema continuera de servir sa communauté et certaines des personnes les plus pauvres du Pakistan. La promesse de son père a finalement été tenue.
« Nous ne nous attendions pas à ce qu’elle survive à la naissance », dit Abdul. « Le bébé était à l’envers. J’ai promis que, garçon ou fille, j’en ferais un médecin à l’âge adulte. Nous l’appelons Docteur Saleema depuis qu’elle a trois ans. »
« S’il y a un problème dans ma communauté, ils se tournent vers moi parce que j’ai une fille qui est médecin. C’est une grande fierté pour nous. Saleema est un exemple pour le Pakistan, pour notre communauté, pour l’Afghanistan. Elle est un exemple pour les gens en général. »
Publie par le HCR, le 11 décembre 2019