Par Gisèle Nyembwe
Ali Abukar, 38 ans, se considère comme un homme privilégié. Il est le chef de la direction de la Saskatoon Open Door Society (SODS), un organisme de bienfaisance qui soutient l’intégration des réfugiés et des nouveaux arrivants à Saskatoon.
Son ascension au poste de direction, bien que source de fierté, n’est pas ce qui, selon lui, le fait se sentir privilégié. Ali dit que c’est surtout toute une vie d’expériences – en tant que Noir, musulman et ancien réfugié – qui a façonné la personne qu’il est aujourd’hui.
Pour marquer le Mois de l’histoire des Noirs, le HCR au Canada a rencontré Ali pour entendre son avis au sujet des débats publics en cours sur le racisme anti-noir suite à la mort de George Floyd et des manifestations de Black Lives Matter aux États-Unis, au Canada et à travers le monde.
« Malheureusement, le racisme est une réalité permanente pour les personnes de couleur. Ils font preuve d’une grande résilience dans leur vie de tous les jours, mais l’impact du racisme est inimaginable. Je pense que le racisme est la source de l’iniquité et de l’injustice dans notre société moderne », explique Ali.
« Mes propres expériences personnelles, en particulier avec le racisme dissimulé, m’ont aidé à comprendre comment le racisme opère. J’utilise ces expériences comme des opportunités qui me permettent de m’exprimer ouvertement sur le sujet. Je me considère privilégié et j’utilise ce privilège pour créer des espaces permettant aux personnes de couleur de se faire entendre là où elles ne sont pas entendues. »
Ali siège sur quelques comités, tels que le comité consultatif sur la diversité, l’équité et l’inclusion de la ville de Saskatoon, le comité consultatif de la police de Saskatoon sur la diversité et le comité consultatif sur l’inclusion de la bibliothèque publique de Saskatoon. Il pense qu’avoir une place à ces tables lui permet de s’assurer que les Noirs et les autres personnes de couleur puissent prendre part aux décisions qui les affectent directement.
Mais Ali n’a pas toujours été en position d’influence. En effet, il a dû surmonter de nombreux obstacles depuis le moment où il a quitté sa Somalie natale à l’âge de 18 ans au début de 2001, fuyant la guerre civile, l’insécurité et la violence.
Son long parcours l’a d’abord conduit en Égypte, où il a passé 10 ans en tant que réfugié, puis il est arrivé au Canada après avoir été parrainé par un membre de sa famille à l’été 2011. Dans les années qui ont suivi, il a obtenu une maîtrise en travail social et s’est construit une carrière brillante.
Les Somaliens quittent leur pays depuis plus de trois décennies, fuyant les conflits incessants, les conditions économiques difficiles, la sécheresse et la famine. Ils constituent désormais l’une des plus grandes diasporas du monde.
Ali pense que nous sommes à un moment critique de nos conversations sur le racisme anti-noir et qu’il est nécessaire de maintenir le cap pour parvenir à une réforme significative et à une société véritablement inclusive et équitable.
« Nous avons l’occasion d’évaluer les institutions publiques et les systèmes que nous tenons pour acquis depuis si longtemps, de réfléchir à l’impact qu’ils ont sur nous tous, en particulier sur les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur, et d’exiger des changements significatifs. »
Alors qu’Ali note que dans de nombreuses organisations, il existe en ce moment une prise de conscience importante concernant les inégalités raciales, menant à diverses réformes, il se demande si toutes ces initiatives auront réellement un impact positif sur la vie des groupes concernés.
« De nombreuses organisations essaieront d’avoir de la diversité dans leurs conseils et comités pour démontrer leur engagement. Je veux les mettre en garde contre les gestes purement symboliques, comme le fait de simplement mettre de l’avant des personnes diverses, pour donner une image de diversité, sans vraiment apporter de changements significatifs et sans consultations préalables avec ces groupes. »
Ali pense qu’il y a des enjeux plus importants à prendre en compte qui nécessitent la participation de tous au dialogue, pas seulement entre les Noirs ou les membres de groupes sous-représentés – ce dialogue doit représenter toutes les voix, et il doit s’accompagner de mécanismes inclusifs qui éclairent la prise de décision à tous les niveaux.
« Le fait de se dire que nous ne sommes pas racistes ne suffit plus » conclut-il. « Nous devrions tous être antiracistes afin d’éradiquer le racisme systémique dans notre société ».