Les lauréats régionaux de la distinction Nansen pour les réfugiés 2023 du HCR pour l’Asie et le Pacifique (de gauche à droite) Sahat Zia Hero, Salim Khan, Shahida Win et Abdullah Habib. © HCR/Susan Hopper

Quatre photographes talentueux vivant dans le plus grand camp de réfugiés au monde témoignent du vécu des Rohingyas, une minorité apatride du Myanmar

Par Tristan McConnell à Cox’s Bazar, Bangladesh


Sur une route pavée de briques rouges, au sommet d’une colline couverte de cabanes dans le camp de réfugiés de Kutupalong, Sahat Zia Hero aperçoit au loin le pylône émetteur du réseau de téléphonie mobile et les arbres les plus hauts de son village, de l’autre côté de la frontière, au Myanmar.


Sur une route pavée de briques rouges, au sommet d’une colline couverte de cabanes dans le camp de réfugiés de Kutupalong, Sahat Zia Hero aperçoit au loin le pylône émetteur du réseau de téléphonie mobile et les arbres les plus hauts de son village, de l’autre côté de la frontière, au Myanmar.

Parfois, il marche jusqu’à la clôture du camp et inspire profondément, espérant respirer l’air de sa terre d’origine qu’il a été forcé de fuir il y a six ans, lorsque son village a été réduit en cendres et qu’il a fui le pays avec des centaines de milliers d’autres Rohingyas.

« C’est très difficile de savoir que ma maison et mon village sont si proches et que je ne peux pas m’y rendre », confie-t-il, les larmes aux yeux. « Parfois, je rêve que je m’y promène. »

Si les 33 camps qui composent Kutupalong et deux autres campements de Cox’s Bazar étaient une ville, celle-ci serait la cinquième plus peuplée du Bangladesh, avec environ 930 000 réfugiés répartis sur 24 kilomètres carrés de collines autrefois boisées, prises en sandwich entre le golfe du Bengale et la rivière Naf qui marque la frontière avec le Myanmar. Kutupalong est un endroit où chaque porte, chaque chemin et chaque marché recèle d’innombrables histoires.

Zia et ses pairs Abdullah Habib, Mohammed Salim Khan et Shahida Win sont des réfugiés qui photographient et racontent ces histoires au monde entier. L’exode des Rohingyas en 2017 a attiré l’attention du monde entier et suscité un soutien humanitaire, mais six ans plus tard, l’attention internationale s’est déplacée vers d’autres crises et conflits. Les Rohingyas se sentent oubliés. Mais ce quatuor se consacre à la collecte et la diffusion de récits du quotidien, en guise de rappel de leur situation critique. Cet engagement a abouti à leur désignation comme lauréats régionaux 2023 pour l’Asie et le Pacifique de la distinction Nansen pour les réfugiés du HCR.

« Nos histoires prouvent que nous existons », affirme Shahida. « Et nous devons raconter nos propres histoires, car c’est nous qui les connaissons le mieux. »

Raconter leur propre histoire

Les conditions de vie sont difficiles à Kutupalong. Les habitants ne bénéficient que d’un accès limité aux moyens de subsistance et à l’éducation, et la plupart d’entre eux vivent dans des abris exigus faits de bambou et de bâches. Cette année, les coupes budgétaires ont eu pour effet de réduire les allocations alimentaires de 12 à 8 dollars par personne et par mois, ce qui aggrave la situation.

Salim est né à Kutupalong de parents réfugiés arrivés au cours d’un afflux antérieur, mais Abdullah, Shahida et Zia ont connu la vie au Myanmar avant que des années de discriminations n’aboutissent à de violentes attaques contre des villages rohingyas dans l’État de Rakhine en 2017. Plusieurs centaines de personnes ont été tuées et plus d’un million de personnes ont été contraintes de fuir leur foyer. Abdullah, Shahida et Zia se sont retrouvés réfugiés, comme Salim. « Nous avons tout perdu, même notre pays », indique Abdullah.

Alors que la vie des réfugiés se dessinait à Cox’s Bazar, les quatre réfugiés ont entrepris de recueillir les récits autour d’eux et d’utiliser leurs smartphones et des appareils photo rudimentaires pour partager des images sur les médias sociaux. Ensemble, ils ont produit des magazines photographiques, publié leurs images dans les médias internationaux, remporté des prix, participé à des expositions et conquis des milliers de personnes qui les suivent sur les réseaux sociaux. Bien qu’ils ne se connaissaient pas au départ, ils ont convenu que personne d’autre ne raconterait leurs histoires à leur place.

« Mon objectif est de documenter les défis auxquels nous sommes confrontés et de raconter des histoires qui servent ma communauté. »

Salim

Salim Khan photographie un Rohingya en train de cuisiner. © HCR/Susan Hopper

« Mon objectif est de documenter les défis auxquels nous sommes confrontés et de raconter des histoires qui servent ma communauté », confie Salim.

« Nous ne voulons pas tomber dans l’oubli. Je veux que les gens du monde entier considèrent les Rohingyas comme des êtres humains, comme les autres », ajoute Zia, qui affirme vouloir capturer « l’espoir, les défis et la tristesse, afin de permettre au public d’en apprendre davantage sur les Rohingyas de la part des Rohingyas. »

« Si nous ne nous exprimons pas, si nous n’élevons pas la voix, si nous ne défendons pas nos droits, rien ne se passera et nous continuerons à vivre de cette manière », poursuit Abdullah.

Contraintes par les normes culturelles et les traditions, les histoires des femmes réfugiées rohingyas sont largement restées cachées. Les photographies et les poèmes audacieux de Shahida leur prêtent une voix.  C’est, dit-elle, une vocation : « Ce n’était pas mon choix. Si je ne transmettais pas ces messages au monde extérieur, qui le ferait ? »

« Si je ne transmettais pas ces messages au monde extérieur, qui le ferait ? »

Shahida

Shahida Win photographie une femme rohingya dans le camp de réfugiés de Kutupalong. © HCR/Susan Hopper

En plus d’amplifier les voix des Rohingyas grâce à leur travail, les quatre jeunes réfugiés organisent des ateliers pour former d’autres personnes. Ils ont ainsi élargi la communauté des réfugiés qui racontent des histoires en se servant de films, de photographies et de poèmes pour s’exprimer et partager des informations cruciales sur la santé publique et sur la manière de réagir face aux incendies et aux inondations qui touchent régulièrement le camp.

Ce qui motive ces jeunes photographes, c’est le désir de susciter une prise de conscience internationale, de décrire la vie de leurs semblables avec sincérité et empathie, et d’apporter un changement pour les Rohingyas. Leur désir est sincère et très personnel. « Je suis celui qui n’a jamais vu le Myanmar », déclare Salim. « Je ne veux pas que mes enfants vivent toute leur vie dans un camp de réfugiés. »

Les photographes réfugiés rohingyas

Abdullah Habib feuillette une publication de photographies issues de son travail, chez lui, dans le camp de réfugiés de Kutupalong. © HCR/Susan Hopper

Abdullah Habib

Abdullah, 29 ans, a fui le Myanmar en 2017 et partage un abri dans le camp de réfugiés de Kutupalong avec sa femme, son fils, ses parents et ses quatre frères. Photographe et documentariste, il a été lauréat du premier concours international d’art pour les artistes issus des minorités en 2022.

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Sahat Zia Hero (à gauche) encadre un jeune Rohingya, Mohammed Hassan. © HCR/Susan Hopper

Sahat Zia Hero

Zia, 29 ans, a fui le Myanmar en 2017 et vit à Kutupalong avec sa femme et ses deux enfants. Il est photographe documentaire, professeur de photographie, et fondateur et rédacteur en chef de Rohingyaphotographer Magazine, dont le troisième numéro est en cours de production.

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 Salim Khan édite des photos sur son ordinateur à son domicile dans le camp de réfugiés de Kutupalong. © HCR/Susan Hopper

Mohammed Salim Khan

Salim, 31 ans, est né à Kutupalong de parents ayant fui des violences antérieures au Myanmar. Il vit avec sa femme et ses trois enfants. Il est photographe, pompier volontaire et formateur aux situations d’urgence en cas de catastrophe. Il aide les autres réfugiés à faire face aux incendies, aux inondations et aux coulées de boue qui aggravent la précarité dans les camps.

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Shahida Win compose des poèmes chez elle, dans le camp de réfugiés de Kutupalong. © HCR/Susan Hopper

Shahida Win

Shahida, 27 ans, a fui le Myanmar en 2017 et vit à Kutupalong avec sa mère et son frère. Elle est photographe et poète et ses récits se concentrent sur les expériences des femmes et leur autonomisation. En 2023, elle a présenté ses poèmes lors du festival annuel Dhaka Lit Fest, dans la capitale bangladaise.

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Publie par le HCR, le 28 novembre 2023.

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