Après avoir fui le conflit au Soudan, des réfugiés trouvent protection et assistance à Korsi, un nouveau quartier de la ville de Birao, dans le nord du pays
Par Josselin Brémaud et Xavier Bourgois à Birao, République centrafricaine
« Je suis juste partie avec mes enfants et les habits que nous avions sur le dos. Nos biens, notre maison, nous avons dû tout abandonner. » Fatma, assise à l’ombre d’un grand arbre, deux de ses petites filles serrées contre elles, raconte son périple depuis Nyala, au Soudan. « Après avoir traversé la frontière avec la Centrafrique, nous sommes restés presque deux mois à Am-Dafock. Puis nous avons été emmenés à Birao, en camion. De la nourriture et du thé nous ont été offerts au cours du voyage qui a duré deux jours.. »
Depuis le début de la crise au Soudan, près d’un demi-million de personnes ont été déplacées par les violences, majoritairement vers l’Égypte et le Tchad. Moins impactée, la République centrafricaine a tout de même accueilli plus de 16 000 civils, en grande majorité des femmes et des enfants, comme Fatma. Installés pendant de longues semaines à la frontière, dans des conditions particulièrement précaires, une partie d’entre eux ont été installés à Birao à partir de la fin du mois de mai.
« C’était une course contre la montre. Nous avons procédé aussi vite que possible à l’enregistrement des nouveaux arrivants, pour pouvoir organiser sans délai leur relocalisation à Birao », explique Bobo Kitoko, en charge de l’enregistrement pour le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Eloigner les personnes de la frontière était devenu nécessaire, entre la saison des pluies qui rend les routes impraticables pour acheminer l’aide humanitaire et l’insécurité grandissante dans cette région très instable.
« Il fallait aller vite car avec la pluie, les quelque 70 kilomètres qui nous séparent de Birao sont devenus extrêmement difficiles à parcourir. Même avec de bons véhicules, il nous a parfois fallu plus de huit heures pour faire la route à travers les bourbiers. Imaginez la difficulté avec des camions chargés ! » Venus majoritairement du Darfour, les demandeurs d’asile ont vécu des semaines éprouvantes. Ils se sont retrouvés à la frontière, sans aucune ressource, dormant à la belle étoile dans des conditions climatiques extrêmes, sous 45 degrés à l’ombre.
Korsi, une extension de la ville de Birao
Jusqu’au début de la saison des pluies, la Commission Nationale pour les Réfugiés et le HCR ont pu accueillir plus de 800 personnes dans un nouvel espace, Korsi, pensé comme une extension de la ville de Birao. Depuis le dernier convoi, près de 400 personnes sont arrivées par leurs propres moyens, à dos d’âne ou à moto. « Le site a été attribué par les autorités, nationales, locales et coutumières, dans la lignée de la politique historique de générosité et d’accueil en République centrafricaine », explique Fafa Olivier Attidzah, Représentant du HCR en Centrafrique. « Le lieu a été pensé comme une extension de la ville de Birao, un nouveau quartier, afin de faciliter l’inclusion des nouveaux arrivants auprès des communautés locales. C’est un point essentiel pour permettre à ces personnes de ne plus seulement vivre dans l’urgence, mais aussi de retrouver une forme de foyer, une certaine stabilité et de l’espoir. »
Parmi les personnes accompagnées, nombreuses sont celles qui présentent des vulnérabilités. « La majeure partie de la population du plus d’un millier de personnes qui se trouvent ici sont des femmes et des enfants, qui ont pu vivre des situations particulièrement compliquées et difficiles sur la route et dans le cadre des conflits », explique Marco Gonçalves Dias, chef de bureau du HCR à Birao.
Comme Fatma, Mohamed a décidé d’embarquer à bord des camions qui se rendaient à Korsi, en compagnie de sa femme et de ses cinq enfants. « Je suis commerçant. Tous mes biens ont brûlé dans ma boutique et j’ai dû abandonner ma maison. Certains de mes proches ont perdu la vie. Nous ne pouvons plus retourner au Soudan », souligne-t-il.
Sur place, la CNR, le HCR et leurs partenaires ont créé des lieux d’écoute pour les femmes et les filles ainsi que des espaces pour les enfants, pour assurer un soutien psychosocial aux nombreuses personnes dans le besoin. Bakita, assise aux côtés de plusieurs femmes et de quelques enfants, participe régulièrement à des activités de couture, qui visent à leur donner davantage d’autonomie. « Certains disent que c’est trop dur, qu’il n’y a pas assez à manger pour tout le monde, mais ce que l’on cherchait avant tout, c’est la paix et la sécurité. »
Des projets pour renforcer la coexistence pacifique
Habitants comme autorités leur ont réservé un bon accueil lorsqu’ils sont arrivés dans cette nouvelle ville, si loin de chez eux. En langue locale, Korsi signifie « Bienvenue ». « Nous avons été bien aidés par les gens », souffle Mohamed. En esquissant un sourire, Fatma raconte le jour de son arrivée : « Des enfants chantaient sur la route, “des réfugiés, des réfugiés”. Les habitants nous ont salués. Ils nous ont aidés. Ils compatissent à notre sort. »
C’est pour rapprocher davantage les communautés que plusieurs activités et projets ont été pensés pour bénéficier aussi aux populations locales. Ainsi, à l’occasion de Tabaski (Aid al-adha), des habitants de Birao et leurs nouveaux voisins ont pu célébrer cette fête ensemble, dans une ambiance des grands jours. Côté projets, des pompes à eau vont bientôt remplacer l’approvisionnement par camion ; à terme, ils faciliteront l’accès de tous les habitants à cette denrée vitale. Un site agricole va aussi bientôt voir le jour, à quelques kilomètres de Korsi. Les demandeurs d’asile pourront y travailler et vendre leurs récoltes sur les marchés locaux.
« De notre force naîtra l’espoir de jours meilleurs. »
« J’attends que mes enfants puissent être inscrits à l’école », Explique Fatma, interrogée sur l’avenir de sa famille. « Pour qu’ils soient bien éduqués. Et surtout pour qu’ils puissent rester en paix. » Des projets éducatifs sont en développement afin de permettre aux enfants réfugiés et des communautés hôtes de retrouver l’accès à une éducation de qualité. « Ces garçons et ces filles ont besoin de poursuivre leur cursus », abonde Ali Issa, imam soudanais installé à Korsi. Dans ses yeux délavés, on peut lire la richesse d’une vie consacrée à la transmission du savoir. « Nous ne parlons qu’arabe et anglais. Apprendre le français est une chance pour nos enfants. C’est essentiel qu’ils apprennent la langue pour pouvoir s’exprimer, et exprimer nos besoins. »
Assis à ses côtés, Abdalelah, qui a dû abandonner ses études en médecine à cause du conflit, s’engage bénévolement au quotidien auprès des personnes qui comme lui, ont tout perdu ces dernières semaines. Mobilisé aux côtés de la jeunesse de Korsi, il clame avec un joli sens de la formule : « Des mauvais jours est née notre force. Et de notre force naitra l’espoir de jours meilleurs. »
Ces projets veulent redonner de l’espoir à celles et ceux qui, en l’espace de quelques semaines, ont dû tirer un trait sur leur vie d’avant. Mais repartir à zéro ne signifie pas oublier le passé, ni ceux qui n’ont pas été en mesure de partir. « Nous sommes bien soutenus ici. Mais nos familles sont là-bas. Même si nous restions ici des décennies, nous penserons toujours à elles », soupire Bakita.
Cela fait plus de 100 jours que le conflit a commencé au Soudan. Près d’un demi-million de personnes ont besoin de solutions pour continuer à s’accrocher au présent, et croire en un meilleur avenir. Seule la paix exaucera leur vœu le plus cher : retrouver leurs foyers et leurs familles. « Mon espoir est ce que les jeunes puissent rentrer chez eux pour reconstruire leur pays », confie l’imam. Puis dans un léger sourire, comme à lui-même : « Pour ma part, j’aimerais simplement voir de mes propres yeux le jour où nous serons de retour. »
Publie par le HCR, le 31 juillet 2023.