Des femmes vêtues de vêtements colorés et portant un foulard sont assises sur du sable. Deux d'entre elles tiennent des bébés.

Hadjie Al Nour Sar (à gauche) avec sa fille Fatima au camp de réfugiés d’Aboutengue dans l’est du Tchad. © UNHCR/Levon Sevunts

Avec plus de 600 000 nouveaux réfugiés soudanais au Tchad et d’autres qui arrivent chaque jour, les agences humanitaires sous-financées s’efforcent de fournir une assistance adéquate

Par Levon Sevunts dans le camp de réfugiés d’Aboutengue, Tchad


Hadji Al Nour Sar a un souhait simple : changer de vêtements. Cette mère de six enfants, âgée de 30 ans, porte la même robe en lambeaux depuis plus d’un an, depuis qu’elle et ses enfants ont fui le nouveau carnage dans la région du Darfour, à l’ouest du Soudan.


Allaitant sa plus jeune fille, âgée de six mois, à l’ombre d’un grand arbre dans le camp de réfugiés d’Aboutengue, à l’est du Tchad, Hadji rêve de retourner chez elle à El Geneina, une ville située à quelques dizaines de kilomètres seulement, de l’autre côté de la frontière vers l’est.

Depuis avril 2023, les Forces de soutien rapide (RSF), un groupe paramilitaire, se battent contre les Forces armées soudanaises (SAF) pour la suprématie dans une guerre civile brutale qui a déraciné plus de 9 millions de personnes. Près de 2 millions ont fui vers les pays voisins, dont le Tchad qui a accueilli plus de 600 000 nouveaux réfugiés soudanais. Ils se sont ajoutés aux plus de 500 000 autres qui ont fui au Tchad lors du précédent conflit meurtrier au Darfour en 2003 et 2004.

Exécutions et brutalités

Pour Fatima Adam Muhammad, une tache de sang sur un châle déchiré par les balles est tout ce qui reste de son fils adolescent, Mizamir, qui a été abattu sous ses yeux à El Geneina en juin de l’année dernière.

Des femmes vêtues de vêtements colorés et de foulards sont assises sur le sable.

Fatima Adam Muhammad a fui El Geneina en juin 2023 après que son fils adolescent a été tué. Elle et ses quatre fils survivants ont trouvé refuge dans le camp de réfugiés d’Aboutengue, dans l’est du Tchad. © UNHCR/Levon Sevunts

Retirer l’éclat requiert un équipement d’imagerie médicale de pointe et une intervention chirurgicale compliquée qui n’est pas disponible dans la clinique de terrain voisine gérée par Médecins Sans Frontières. Malgré l’inconfort et l’inquiétude, Suraya se préoccupe davantage de nourrir ses deux enfants que d’obtenir l’intervention chirurgicale dont elle a besoin.

“J’espère que nous aurons assez de nourriture pour les enfants, ils souffrent beaucoup”, dit-elle.

Course contre la pluie

Les réfugiés soudanais arrivent d’abord dans des campements spontanés et informels le long de la frontière tchadienne, où ils peuvent être à l’abri de la violence, mais ont un accès extrêmement limité à l’aide humanitaire.

En début juin, le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et les autorités tchadiennes avaient réussi à reloger 60 % de ces réfugiés dans des camps établis, comme celui d’Aboutengue, où ils disposent d’un abri et d’un meilleur accès à l’eau potable et à d’autres services de base.

Le financement reste cependant insuffisant, le HCR n’ayant reçu que 10 % des 215 millions de dollars dont il a besoin pour répondre à la situation dans l’est du Tchad cette année.

D’autres agences de l’ONU et organisations humanitaires au Tchad sont également confrontées à de graves déficits de financement. En novembre, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a prévenu qu’il pourrait être contraint de cesser de fournir une aide alimentaire à 1,4 million de personnes touchées par la crise au Tchad en raison de contraintes financières, alors même que l’insécurité alimentaire s’aggrave.

Le manque de financement affecte également la capacité du HCR à construire de nouvelles installations et à y transférer des personnes, alors même que la situation des dizaines de milliers de personnes vivant encore dans d’innombrables sites informels près de la ville frontalière d’Adré devient de plus en plus désespérée. “Ces personnes vivent en attendant la fin de leur vie”, a déclaré Benoit Kayembe Mukendi, un responsable de terrain du HCR. “Nous devons les aider à se déplacer vers des camps établis avant que les pluies n’arrivent.

Un groupe de personnes marche sur le sable dans un grand terrain. Derrière eux se trouvent de nombreux petits abris.

Des dizaines de milliers de réfugiés soudanais vivent dans des camps de réfugiés spontanés près de la ville frontalière d’Adré, au Tchad, avec un accès limité aux services de base. © UNHCR/Ying Hu

Au plus fort de la saison des pluies, en juillet et août, des pluies torrentielles remplissent les ruisseaux asséchés d’eau boueuse qui s’écoulent rapidement, rendant les déplacements difficiles et certaines zones inaccessibles. Selon M. Benoit, l’urgence est d’autant plus grande que de nombreux campements informels se trouvent sur des terres agricoles saisonnières, ce qui accroît les risques de tensions avec les communautés d’accueil.

Des menaces persistantes

Pour certains, le fait de vivre à deux pas de la frontière s’accompagne également de graves risques en matière de sécurité. Jumaa Yagoub Suleiman, un chef communautaire du Darfour âgé de 30 ans, a échappé aux massacres d’El Geneina l’année dernière, mais même au Tchad, sa vie est constamment menacée par les groupes armés. Il est contraint de changer régulièrement de domicile.

“Ils nous contactent toujours et nous envoient des messages, ils envoient des gens à Adré, à la recherche des chefs de communauté. Ils me disent : ‘Tu t’es échappé d’El Geneina, mais tu ne t’échapperas pas d’Adré'”, explique Jumaa.

Si Jumaa espère pouvoir bientôt s’éloigner de la frontière, il espère également que la communauté internationale n’oubliera pas le peuple soudanais

“Un jour, nous rentrerons chez nous, dit-il, mais pas maintenant. Il y a encore trop de souffrances dans mon pays, à cause de la guerre, à cause des meurtres. Un jour, mais pas maintenant.

Publié par le HCR le 24 juin 2024.

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