Des familles d’accueil soudanaises offrent un foyer et de l’espoir à des enfants orphelins et non accompagnés
Par Levon Sevunts dans le camp de réfugiés d’Arkoum, Tchad
Alors qu’il s’effondrait sous un arbre dans le désert, paralysé par la douleur aiguë d’une blessure par balle au mollet, et que les tirs résonnaient encore dans son village dévasté du Darfour, dans l’ouest du Soudan, Abdoulaye avait deux priorités. D’abord, arrêter l’hémorragie. Ensuite, trouver un moyen de se rendre, lui et sa femme, en toute sécurité à la frontière tchadienne, toute proche.
Mais lorsqu’un groupe de voisins a fait halte près du même arbre pour reprendre haleine, les priorités d’Abdoulaye ont rapidement été bouleversées. Dans le chaos de la fuite face à la milice qui avait attaqué leur village, les voisins avaient recueilli deux jeunes enfants dont la mère avait été tuée lors de l’attaque et dont le père avait disparu.
Les voisins ont laissé les enfants à Abdoulaye et à sa femme Hawaye et ont poursuivi leur fuite effrénée en direction de la sécurité toute relative de la frontière tchadienne.
Il n’était pas question d’abandonner ces enfants terrifiés, se souvient Abdoulaye dans son nouvel abri du camp de réfugiés d’Arkoum, dans l’est du Tchad. Il observe les deux jeunes enfants – Saleh, 5 ans, et sa petite sœur Maimouna, 3 ans – qui jouent sous l’auvent de leur abri commun.
« J’ai décidé que si nous devions mourir, nous mourrions ensemble, je n’abandonnerai pas les enfants », confie-t-il à propos de cette chaude après-midi de l’été 2023 où il s’est enfui de chez lui et a recueilli les enfants.
Peu après le déclenchement du conflit au Soudan en avril 2023, Abdoulaye et Hawaye avaient envoyé leurs trois enfants se mettre à l’abri au Tchad, où ils vivaient avec des membres de leur famille. A son arrivée au camp avec sa femme et les deux enfants sauvés, Abdoulaye a appris que la nouvelle s’était répandue qu’il était mort dans l’attaque de leur village.
Accueilli par la famille
« Tout le monde pensait que j’étais mort », raconte-t-il. « Ils étaient si heureux de me voir vivant. »
Abdoulaye et Hawaye ont retrouvé leurs enfants, qui ont accueilli leurs deux nouveaux frères et sœurs à bras ouverts.
“Si nous devons mourir, nous mourrons ensemble.”
Abdoulaye, réfugié soudanais
Depuis lors, les recherches pour retrouver le père de Saleh et de Maimouna se sont poursuivies sans succès. Abdoulaye craint qu’il ait été tué lors des combats.
Hawaye et lui bénéficient d’un nouveau programme visant les familles d’accueil, géré par le Service jésuite des réfugiés avec le soutien du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Il y a huit autres familles d’accueil de réfugiés dans le vaste camp d’Arkoum, et un total de 55 dans les cinq camps de réfugiés de la plus vaste région de Hadjer Hadid, à l’est du Tchad, d’après Nathalie Etienne, responsable de la protection communautaire au HCR.
« Ces familles ont subi des violences et des épreuves inimaginables alors qu’elles fuyaient leur région natale du Darfour au Soudan », explique-t-elle. « Et pourtant, elles ont ouvert leurs habitations et leurs cœurs pour s’occuper d’enfants qui ont perdu leurs parents ».
Le programme pour les familles d’accueil de réfugiés offre une formation et une assistance aux familles participantes. Pour garantir la sécurité et le bien-être des enfants orphelins et non accompagnés qui arrivent au Tchad, le HCR et ses partenaires procèdent à des évaluations approfondies avant leur placement ainsi qu’à des évaluations de suivi continues avec les familles d’accueil.
La plus grande crise de déplacement d’enfants au monde
Le conflit entre les forces armées soudanaises et les forces paramilitaires de soutien rapide a contraint plus de 11,5 millions de personnes à fuir depuis avril de l’année dernière, dont environ 5 millions d’enfants. Cela fait de la situation au Soudan la plus grande crise de déplacement d’enfants au monde, selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF).
Près de la moitié des 3 millions de personnes qui ont fui le Soudan vers les pays voisins sont des enfants, tandis qu’au Tchad même, plus de 60% des 710 000 réfugiés qui ont échappé à la guerre ont moins de 18 ans.
Lors d’une conférence de presse à Genève le vendredi 8 novembre, la Directrice des relations extérieures du HCR, Dominique Hyde, a indiqué qu’environ 60 000 réfugiés soudanais étaient entrés au Tchad au cours du seul mois d’octobre – des niveaux jamais atteints depuis le début de la crise – y compris un nombre croissant d’enfants souffrant de malnutrition.
La guerre en cours a engendré une combinaison meurtrière faite de déplacements, de maladies et de famine. Les Nations Unies estiment que près de 4 millions d’enfants de moins de cinq ans souffriront de malnutrition aiguë cette année, et que 730 000 d’entre eux risquent de souffrir de malnutrition aiguë sévère.
Le conflit a également provoqué l’une des pires crises en matière d’éducation au monde, avec plus de 90 % des 19 millions d’enfants en âge d’aller à l’école n’ayant pas accès à l’éducation formelle.
« Les civils paient le plus lourd tribut dans ce conflit violent. », a déclaré Dominique Hyde, qui s’est rendue dans le pays la semaine dernière. « Soixante et onze pour cent des réfugiés arrivant au Tchad déclarent avoir été victimes de violations des droits humains au Soudan au cours de leur fuite. Les niveaux de traumatisme sont terribles, avec des familles en état de choc après avoir fui ces horreurs, vivant toujours dans la peur bien qu’elles soient désormais en relative sécurité ».
Abdoulaye espère qu’au Tchad, tous les enfants dont il a la charge bénéficieront d’une éducation et d’opportunités qu’il n’a jamais eues au Darfour. « Je n’ai pas eu la chance d’étudier. Ma famille avait beaucoup d’animaux, alors j’ai grandi en élevant du bétail », explique-t-il. « Je veux que tous mes enfants aillent à l’école et se construisent une vie meilleure. »
Mais il ne s’agit là que d’un rêve pour l’avenir. Aujourd’hui, il se préoccupe davantage de savoir comment ils pourront se nourrir, surtout maintenant que Saleh et Maimouna font partie de la famille élargie.
« Les enfants vivront avec nous tant que je serai en vie. Ce que nous mangeons, ils le mangeront », ajoute Abdoulaye. « J’ai failli mourir mais Allah m’a sauvé la vie, je l’implore de sauver aussi ces enfants et de les aider à être heureux ».
Publie par le HCR, le 11 novembre 2024.