Bonjour à tous.

Cette année a été marquée par les extrêmes.

Une année de contradictions.

Une année de pertes et de deuils, sans aucun doute, alors que nous continuons à être témoins de conflits, de violences et d’abus qui entraînent le déplacement de millions de personnes. Nourrie par la croyance – ou plutôt le terrible mensonge – que le chemin de la paix passe par la guerre.

Mais aussi, une année avec au moins quelques moments d’espoir.

Cet été, nous avons eu le privilège d’applaudir le meilleur de cet esprit humain, incarné par les athlètes réfugiés qui ont participé aux Jeux olympiques et paralympiques à Paris.

Ce soir, nous rendrons hommage à Sœur Rosita, lauréate mondiale Nansen de cette année, ainsi qu’aux quatre lauréates régionales, Maimouna, Jin, Nada et Deepti. Cinq femmes exceptionnelles qui ont décidé de ne pas baisser les bras. Elles sont une source d’inspiration pour nous tous et nous rappellent avec force que nous pouvons garder espoir, même aux heures les plus sombres de l’humanité.

Ainsi, pour ouvrir cette session du comité exécutif, permettez-moi de partager quelques réflexions alors que nous faisons le point sur les douze derniers mois. Alors que nous essayons de donner un sens au présent et d’envisager un avenir qui semble plus incertain que jamais.

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les participants,
Chers collègues et amis,

L’incertitude et l’anxiété ne sont nulle part plus palpables en ce moment qu’au Liban. Je reviens tout juste d’une visite dans ce pays et en Syrie. Même si cela parait évident, permettez-moi de souligner que le message dominant des personnes que j’ai rencontrées – dont beaucoup sont déplacées et toutes affectées par la guerre – est qu’elles veulent la paix. Un cessez-le-feu pour le Liban, mais aussi – comme cela est désespérément nécessaire à Gaza – un cessez-le-feu soutenu par un processus de paix concret, aussi difficile soit-il. C’est le seul moyen de briser le cycle de la violence, de la haine et de la misère. Un cessez-le-feu qui permettrait également aux personnes déplacées par ce conflit – au Liban et dans le nord d’Israël – de rentrer chez elles. Un cessez-le-feu qui permettrait d’éviter une guerre régionale majeure aux implications mondiales.

Vous aurez vu les images et pris connaissance des chiffres : des centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du Liban, cherchant à échapper aux frappes aériennes israéliennes. Une fois de plus, la distinction entre civils et combattants est quasiment oubliée. Les guerres deviennent plus intelligentes, nous dit-on. C’est certainement le cas sur le plan tactique et en termes d’économie des ressources militaires, mais certainement pas au regard des pertes civiles, des destructions et des déplacements de populations. C’est ce dont nous sommes également les témoins en Ukraine, à Gaza, au Soudan et au Myanmar, où le respect du droit humanitaire international est quasiment inexistant, alors que des hôpitaux et des écoles sont détruits et que des milliers de personnes perdent la vie.

Y compris, dans le cas du Liban, la vie de collègues du HCR.

Je tiens à honorer une nouvelle fois la mémoire de nos deux collègues, Ali et Dina (ainsi que de son fils Jad). Nous pensons également à d’autres organisations, en particulier à l’UNRWA – où, de manière choquante, 226 collègues ont été tués. Nous ne pouvons accepter que la vie des humanitaires soit considérée comme un simple dommage collatéral, ou pire, que ceux-ci soient jugés coupables ou complices. Si, en cette année où nous célébrons le 75eme anniversaire des Conventions de Genève, nous ne réaffirmons pas le fait que la protection des civils est une obligation légale, et si nous n’assumons pas les responsabilités qui en découlent, les guerres deviendront encore plus meurtrières et dévastatrices, et les déplacements forcés à l’intérieur et au-delà des frontières s’intensifieront.

Et pourtant, alors que la communauté humanitaire est en deuil, que nombre de nos collègues et leurs familles sont affectés, nous poursuivons notre action, nous restons sur place et nous continuons d’agir. Comme nous l’avons toujours fait. Comme il est de notre responsabilité de faire.

Ainsi, nous sommes au Liban, travaillant avec les autorités et les partenaires pour répondre aux besoins les plus urgents. Et pour répondre à la détresse de chacun, sans distinction, sur le même pied d’égalité. Car les frappes aériennes n’épargnent personne. Certainement pas le peuple libanais, mais aussi les réfugiés syriens, dont beaucoup ont été accueillis au Liban pendant des années, et qui se retrouvent à nouveau déracinés. La complexité, le paradoxe de la situation sont évidents.

L’incertitude plane sur la vie des civils ordinaires au Liban aujourd’hui. Il est certain que si les frappes aériennes se poursuivent, de nombreux autres seront déplacés et certains décideront de fuir vers d’autres pays. Nombreux sont ceux qui ont déjà décidé de franchir la frontière syrienne et la Syrie a ouvert ses portes à tous ceux qui fuient le Liban.

Les réfugiés libanais et les Syriens de retour en Syrie ont besoin d’une aide immédiate. L’appel de fonds lancé à Damas la semaine dernière, tout comme celui lancé pour le Liban quelques jours plus tôt, nécessitent des contributions urgentes. La situation – les Syriens représentant 70 % des 270 000 nouveaux arrivants – exige également que nous avancions plus résolument sur les deux voies que j’ai souvent évoquées par le passé.

Premièrement, nous continuerons à travailler et à plaider auprès du gouvernement syrien pour assurer la sécurité de tous les arrivants, y compris les Syriens, surtout maintenant que bon nombre sont rentrés chez eux. J’ai discuté de cette question à Damas et je suis convaincu que les engagements pris par le gouvernement en matière de transparence, d’efficacité et de respect des droits des nouveaux arrivants seront respectés, comme cela se passe actuellement à la frontière, et que le HCR continuera à être en mesure de suivre les retours à la fois aux postes frontières et dans les lieux de destination.

Deuxièmement, cet afflux se produit dans un pays très fragile où les besoins de la population sont immenses. J’espère que les donateurs contribueront aux efforts de soutien et de stabilisation des retours, en rappelant que la résolution 2254 du Conseil de sécurité autorise des interventions significatives non seulement dans la sphère humanitaire, mais aussi en matière de relèvement précoce.

Il est urgent de progresser sur ces deux fronts en raison du mouvement de retour actuel, motivé par l’urgence, mais cela peut aussi apporter des éléments utiles aux discussions en cours sur les solutions durables en faveur des réfugiés syriens.

Madame la Présidente,

Dans le contexte de la crise au Moyen-Orient, il serait facile – et peut-être tentant – de d’afficher un certain cynisme à l’égard du multilatéralisme. De se replier sur soi. Mais le cynisme et l’isolement ne sont pas des luxes que les réfugiés peuvent se permettre.

Il y a aujourd’hui 123 millions de personnes déplacées. Leur situation critique exige des solutions. Et le seul moyen d’y parvenir est de travailler ensemble.

Il y a quelques mois seulement, lors du deuxième Forum mondial sur les réfugiés, nous avons pu constater par nous-mêmes qu’une vision juste – de la solidarité, de l’unité – pouvait forger un nouvel esprit de coopération. Dix mois plus tard, il est plus important que jamais de rappeler l’engagement en faveur de l’inclusion et du partage des responsabilités que vous tous et beaucoup d’autres avez apporté au Forum, et qui a débouché sur plus de 2 000 engagements, dans tous les secteurs et toutes les régions.

Sous la houlette de Ruven Menikdiwela, Haut Commissaire assistante en charge de la protection, le HCR assure le suivi de la mise en œuvre des engagements, dont beaucoup ont déjà un impact réel et tangible sur les personnes déplacées et sur les communautés qui les accueillent. Les exemples sont innombrables. C’est le pouvoir du multilatéralisme lorsqu’il est bien mené.

Alors que se profile l’échéance de décembre 2025 et la réunion de haut niveau qui constituera le prochain jalon institutionnel du Pacte mondial sur les réfugiés, gardons intact cet état d’esprit. Nous devrons tirer les leçons du Forum mondial sur les réfugiés – solidarité, persévérance et volonté de résoudre les problèmes – tout en continuant à répondre au rythme effréné des urgences humanitaires.

Comme en Ukraine, où il est nécessaire de venir en aide aux civils en vue d’un hiver qui risque d’être encore plus difficile que les deux précédents, une grande partie des infrastructures énergétiques ayant été détruites par les frappes russes. Ou au Myanmar, où le nombre de personnes déplacées a augmenté de plus de deux millions au cours de l’année écoulée en raison de conflits multiples et impitoyables dans tout le pays.

Ou encore au Soudan. Une crise qui ne suscite guère l’attention des médias et ne bénéficie que d’un soutien financier insuffisant, et où nous voyons aujourd’hui les conséquences dramatiques de l’inaction collective contre laquelle nous avons mis en garde depuis le début de la guerre, il y a dix-huit mois. Et la situation peut encore s’aggraver.

Je me suis rendu à deux reprises au Soudan cette année. La situation dans ce pays dépasse tout entendement. La famine, la maladie, les inondations et les horribles violations des droits humains ont entraîné le déplacement forcé de plus de 11 millions de personnes, soit près de deux fois plus qu’il y a un an. Deux millions de Soudanais sont devenus des réfugiés. La plupart sont accueillis en Égypte, au Tchad, en Éthiopie, en République centrafricaine et au Soudan du Sud. Il s’agit de pays fragiles, confrontés à leurs propres crises et aux effets du changement climatique. Et pourtant, ils continuent d’accueillir des réfugiés. La semaine dernière encore, 25 000 Soudanais sont arrivés au Tchad, fuyant les récentes atrocités.

Pensez-y : 25 000, qui s’ajoutent aux 1,2 million de réfugiés déjà présents dans le pays, l’un des plus pauvres au monde. À l’heure où trop de pays choisissent de fermer leurs frontières ou de se servir des réfugiés comme de pions politiques, nous ne pouvons pas considérer la générosité des pays d’accueil comme acquise. Nous devons accroître considérablement notre soutien à ces pays – le plan de réponse aux besoins des réfugiés au Soudan n’est financé qu’à 27 % – ainsi qu’aux nombreux autres pays qui continuent de garder leurs portes ouvertes, souvent avec peu de ressources.

Au Soudan et dans la région, nous faisons également de notre mieux. Mais nous éprouvons un sentiment d’impuissance. À New York, à l’Assemblée générale, j’ai pris part à plusieurs discussions sur la crise soudanaise et je n’ai rien entendu – rien – qui puisse nous faire espérer que les hommes en armes qui dévastent leur propre pays s’assoient à la table des négociations. Quelle triste illustration de l’état du leadership dans le monde d’aujourd’hui !

Mais j’ai également entendu que l’aide humanitaire, si désespérément nécessaire pour au moins atténuer les conséquences d’un leadership médiocre, est rare.

Pas de paix, peu de ressources. Eh bien, Madame la Présidente, dans cette équation fatidique, il faut bien que les choses bougent. Sinon, personne ne devra s’étonner que les déplacements ne cessent de croître, en nombre mais aussi en étendue géographique. Car la réalité est qu’en l’absence de sécurité et de stabilité, les réfugiés se déplacent, ce qui inquiète tant d’États. Nous avons déjà vu le nombre de réfugiés soudanais augmenter en Libye et en Ouganda. Les réfugiés soudanais traversent la Méditerranée, certains même la Manche.

Madame la Présidente,

Compte tenu du nombre de situations d’urgence, de l’absence de paix et de la difficulté à trouver des solutions durables, il n’est pas surprenant que la plupart des déplacements se prolongent dans le temps.

Nous devons en faire beaucoup plus pour soutenir les pays d’accueil à long terme. Je me suis rendu au Pakistan en juillet – c’est un exemple important – pour attirer l’attention sur la situation dans le pays et pour mobiliser des ressources afin de soutenir les efforts du gouvernement pour maintenir son hospitalité traditionnelle et généreuse en dépit notamment des problèmes de sécurité. J’ai salué la suspension du plan de rapatriement des étrangers en situation irrégulière – nous continuons à appeler tous les États qui accueillent des Afghans à ne pas renvoyer qui que ce soit contre son gré. Nous continuerons à travailler avec le Pakistan et l’Iran – deux pays qui accueillent généreusement des réfugiés afghans depuis des décennies – afin de préserver l’espace de protection disponible et de trouver des moyens de mobiliser un soutien supplémentaire tant pour les réfugiés que pour leurs hôtes.

Permettez-moi de répéter un argument important que j’ai déjà avancé. L’escalade constante des crises signifie également que le HCR doit travailler dans des endroits difficiles et trouver des moyens d’atteindre les plus vulnérables. En Afghanistan, comme je viens de le mentionner, mais aussi dans de nombreux autres pays, où le fait d’opérer dans des environnements hautement politisés et souvent peu sûrs présente des défis particulièrement complexes.

Le premier défi consiste à traiter avec un large éventail d’acteurs – formels et informels – qui exercent un contrôle sur le territoire : parfois des autorités de facto, ou des gouvernements soumis à des sanctions ou à d’autres pressions internationales. Le deuxième problème est celui de l’accès, comme au Soudan ou au Myanmar. Les opérations transfrontalières y sont particulièrement délicates, étant donné que les conditions sur le terrain évoluent rapidement et de manière imprévisible. Un troisième problème est lié aux exigences de contrôle de plus en plus strictes imposées par certains gouvernements donateurs.

Je suis bien conscient des réalités géopolitiques que doit affronter le HCR. J’accepte l’examen minutieux qu’implique le fait d’opérer dans ces environnements. J’ajoute que le HCR est reconnaissant du soutien qu’il reçoit et qu’il s’est engagé à faire preuve de transparence dans tout ce qu’il entreprend.

Mais je voudrais insister sur le fait que, dans le contexte d’absence de paix et de manque de ressources que j’ai décrit, non seulement notre présence dans ces environnements difficiles est nécessaire, mais elle doit être renforcée. C’est précisément la nature apolitique de notre travail qui nous permet d’être efficaces. Nous devons conserver la flexibilité nécessaire pour nous adapter à l’évolution des réalités sur le terrain, afin de pouvoir remplir notre mandat de protection et de résolution des conflits.

Madame la Présidente,

Non seulement l’ampleur des situations d’urgence liées au déplacement a connu une croissance exponentielle au cours des dernières années – nous avons eu en moyenne 40 situations d’urgence par an au cours des trois dernières années – mais les flux de déplacement sont devenus plus complexes.

Les conflits, la violence et les persécutions restent les principaux moteurs. Les effets du changement climatique – inondations, sécheresses, mauvaises récoltes, phénomènes météorologiques extrêmes – viennent s’ajouter aux autres facteurs à l’origine des déplacements. Si l’on y ajoute le manque d’opportunités économiques, les raisons qui poussent les gens à se déplacer, souvent à partir des mêmes régions ou pays d’origine, deviennent difficiles à cerner. C’est dans ces contextes que l’on parle de flux mixtes : des réfugiés et des migrants se déplaçant côte à côte le long des mêmes routes. Des itinéraires qui, soit dit en passant, ne mènent pas tous à l’Europe ou à la frontière sud des États-Unis. Il existe des flux mixtes vers l’Afrique du Sud, les pays du Golfe et l’Asie du Sud-Est. Ces mouvements posent des problèmes aux pays situés le long des itinéraires, ainsi qu’aux réfugiés et aux migrants eux-mêmes, qui sont confrontés à des risques importants en matière de protection lorsqu’ils se déplacent.

On peut alors se poser la question suivante : que peut-on faire ?

Pour commencer, ne vous concentrez pas uniquement sur vos frontières. Lorsque les réfugiés et les migrants les atteignent, les gouvernements sont soumis à des pressions politiques qui les poussent à prendre des décisions réactionnaires. Par réflexe, ils se concentrent sur les contrôles. Sur les moyens d’empêcher les gens de se déplacer. Sur des plans d’externalisation, de sous-traitance ou même de suspension du droit d’asile qui sont contraires à leurs obligations juridiques internationales. Et franchement, ces mesures sont inefficaces.

Il faut plutôt regarder en amont.

Rechercher les causes profondes dans les pays d’origine.

Examiner les possibilités d’accès à la protection dans les pays de transit, y compris les programmes de séjour légal et de régularisation, qui doivent être largement étendus avec le soutien des partenaires de développement. Créer davantage de voies légales – réinstallation ou regroupement familial, entre autres – afin que moins de personnes se lancent dans des voyages dangereux. Les Oficinas de Movilidad Segura ou bureaux de mobilité sûre dans les Amériques sont un exemple de centres polyvalents où le HCR et l’OIM travaillent ensemble à l’amélioration de ces voies – des voies qui complètent les efforts extraordinaires d’inclusion et de régularisation menés par de nombreux pays de la région, tels que la Colombie, l’Équateur, le Brésil, le Costa Rica, le Mexique, pour n’en citer que quelques-uns.

Et lorsque les réfugiés et les migrants atteignent vos frontières, nous vous aiderons à élaborer des réponses légales qui répondent aux défis posés par les mouvements mixtes. Il s’agit notamment de procédures d’asile équitables et rapides qui permettent d’identifier rapidement les personnes ayant besoin d’une protection internationale, mais qui prévoient également le retour des personnes dans leur pays – en toute sécurité et dans la dignité – lorsqu’il s’avère qu’elles n’ont pas besoin d’une telle protection.

Cette responsabilité partagée peut également être assumée efficacement par le biais de mécanismes de coopération régionale, à condition qu’ils respectent pleinement le droit de demander l’asile. Il est également possible d’étudier des systèmes régionaux qui permettraient de réaliser des économies en mettant en commun les ressources nécessaires à la recherche et au sauvetage, au traitement des dossiers et, surtout, à l’accueil ou au retour des personnes dont la demande a été évaluée de manière équitable.

Le HCR est prêt à fournir des conseils d’experts et à assurer un suivi pour veiller à ce que ces dispositifs soient légaux et réalisables.

Madame la Présidente,

Il est encourageant de voir l’évolution des concepts vers des approches « basées sur les itinéraires » dans divers instruments régionaux, de la Déclaration de Los Angeles sur la migration et la protection au Pacte de l’Union européenne sur l’asile et la migration. Bien entendu, le véritable baromètre de leur efficacité sera la manière dont elles seront mises en œuvre.

Quel que soit le modèle choisi pour rendre opérationnelles les réponses basées sur les itinéraires, un soutien et des investissements importants seront nécessaires pour renforcer les capacités des pays d’accueil et de transit. Et pour garantir le respect des obligations juridiques internationales.

Ce point mérite d’être répété. Oui, il est clair qu’il faut des solutions innovantes – des solutions qui sont à la fois fondées sur des principes et pragmatiques, et nous sommes vos partenaires dans cette entreprise. Ce faisant, nous continuerons à exercer notre mandat, et chacun peut compter sur nous pour défendre avec force l’institution qu’est le droit d’asile.

Madame la Présidente,

Alors que nous renforçons nos réponses aux crises de réfugiés, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre de vue la situation dans les pays d’origine. Nous devons nous efforcer de traiter les causes profondes des déplacements et de trouver des solutions.

Notamment pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, dont le nombre a doublé au cours de la dernière décennie et dont beaucoup deviendront des réfugiés s’ils ne sont pas d’abord aidés dans leur pays. Ces dernières années, cette question a fait l’objet d’un regain d’attention – ce dont nous nous félicitons – notamment grâce au programme d’action du Secrétaire général sur les solutions pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, dirigé de main de maître par Robert Piper, le conseiller spécial.

Robert partagera certainement avec vous les conclusions de son travail. Je me contenterai de dire ici que nous continuerons à travailler avec lui et son équipe à l’élaboration d’une réponse cohérente du système des Nations Unies aux solutions à apporter aux situations de déplacement interne. Le HCR soutiendra fermement les approches et les mécanismes qui seront mis en place par le Secrétaire général dans les prochaines semaines pour poursuivre l’objectif du programme d’action une fois que le rôle du conseiller spécial prendra fin.

Et les solutions restent tout aussi cruciales – et difficiles – dans les situations liées aux réfugiés.

Près de 70 % des réfugiés sont accueillis dans des pays voisins du leur. La plupart des réfugiés souhaitent retourner dans leur pays, volontairement et dans la dignité, lorsque les conditions le permettent. Mais n’oubliez pas que l’élément déterminant des retours est l’évaluation de la situation par les réfugiés. Le HCR les informera toujours et partagera ses propres opinions, mais la décision leur appartient. C’est ce qu’on appelle le retour volontaire et consenti.

Cela ne veut pas dire que la situation dans les pays d’origine se prêtera toujours à des retours massifs. Mais cela souligne la nécessité de faire preuve de souplesse et de soutien lorsque les réfugiés décident de rentrer – volontairement, je le répète, et parfois malheureusement sous la contrainte – dans des conditions imparfaites. C’est une leçon à tirer du Burundi, du Soudan du Sud ou même de la Syrie. Soutenons les communautés où les gens reviennent, afin que les personnes rapatriées puissent renouer avec leurs racines. Nous pourrons ainsi briser le cycle des déplacements.

Enfin, la réinstallation et d’autres voies complémentaires constituent une autre pièce importante du puzzle des solutions. Je suis fier de vous annoncer que notre objectif est de présenter près de 200 000 réfugiés à la réinstallation cette année – un record – et je tiens à remercier les pays de réinstallation (les États-Unis en particulier, mais aussi l’Australie, le Canada, l’Allemagne et d’autres pays) pour leur solidarité et pour leur contribution à la réalisation des objectifs du Pacte mondial sur les réfugiés.

Madame la Présidente,

Nous devons également faire preuve de flexibilité en matière de financement. Comme vous le savez, nos perspectives financières, surtout au début de l’année, étaient particulièrement sombres, ce qui nous a amenés à prendre toute une série de mesures de précaution. Un gel des dépenses a été mis en place pour l’ensemble de nos activités. Et bien que cela fasse partie d’un examen plus large de la réorganisation, 1 000 postes ont été supprimés, soit 6 % de l’ensemble des postes du HCR.

Ces mesures sont venues s’ajouter à nos efforts habituels pour établir des priorités dans nos activités. Nous sommes également en train de consolider les différents volets de la réforme que nous avons entamée il y a plusieurs années – décentralisation, modernisation des systèmes, partenariats avec les acteurs du développement et d’autres acteurs – ce qui nous rendra encore plus efficaces. Une réforme qui nous permettra de concrétiser la vision du Pacte mondial sur les réfugiés. Je tiens à remercier la Haut Commissaire adjointe Kelly T. Clements pour le rôle qu’elle a joué dans la supervision de cette phase de modernisation du HCR et pour la collaboration qui a permis de mener à bien ces efforts, en particulier dans le contexte plus large des initiatives de réforme du système des Nations Unies.

Heureusement, notre situation financière pour cette année, même si elle reste bien en deçà des besoins, s’est quelque peu améliorée. Cette amélioration est due en grande partie, une fois de plus, au soutien des États-Unis, qui, année après année, continuent à fournir la majeure partie du budget du HCR. Je vous remercie très sincèrement. Permettez-moi également de mentionner les quatre autres principaux donateurs – l’Allemagne, l’Union européenne, la Suède et le Danemark – ainsi que ceux qui, comme la République de Corée, ont considérablement augmenté leurs contributions.

Mais notre budget de 10,8 milliards de dollars n’est encore financé qu’à 45 %. Et la même incertitude de financement pèse sur notre budget 2025, et probablement au-delà. Cette volatilité s’ajoute à l’affectation des fonds. Depuis le début de l’année, seuls 14 % de nos financements sont totalement flexibles, grâce aux champions habituels : la Suède, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas et, bien sûr, de nombreux donateurs privés, avec le soutien de partenaires nationaux comme España con ACNUR. Ce faible pourcentage ne nous permet pas de réagir avec l’agilité requise. D’autant plus que nous dépendons d’une poignée de donateurs, sans garantie que les niveaux de financement actuels seront maintenus. Nous ne pouvons pas continuer à fonctionner ainsi. Et vous non plus. Cette approche n’est pas durable.

Madame la Présidente,

Permettez-moi donc de m’étendre sur la soutenabilité, en particulier dans le contexte général que je viens de décrire. Un contexte où les situations d’urgence ont augmenté de façon exponentielle ; où, en l’absence de solutions, les crises prolongées durent des années ; et où le financement humanitaire est devenu inflexible et imprévisible et n’a pas suivi le rythme des besoins. Et franchement, il est peu probable que cela change.

Cette situation engendre des problèmes pour tout le monde. Tout d’abord, pour les personnes déplacées et les communautés d’accueil, dont les besoins sont à peine satisfaits et qui vivent dans une incertitude constante. Bien sûr, par ricochet, cela affecte les pays d’accueil qui, d’une année à l’autre, ne peuvent pas planifier et répondre de manière appropriée parce que les niveaux de financement sont si imprévisibles.

Le HCR et ses partenaires sont mis à rude épreuve. En conséquence, nous devons prendre des décisions difficiles, souvent à la dernière minute, pour maintenir ou suspendre des activités, ou pour renouveler ou non des accords de partenariat.

Cette approche met également les partenaires donateurs sous pression, étant donné la multiplication des crises humanitaires, qui entrent en concurrence avec d’autres priorités budgétaires nationales et internationales pour l’obtention de fonds.

La durabilité n’est pas un concept nouveau. Il était au cœur du Grand Bargain, de la Déclaration de New York sur les réfugiés et les migrants et, bien sûr, du Pacte mondial sur les réfugiés, que vous avez tous approuvé il y a six ans ! Et que vous avez ensuite réaffirmé dans les engagements que vous avez pris lors de deux forums mondiaux sur les réfugiés.

La question fondamentale est donc la suivante : comment pouvons-nous mettre en œuvre tous ces engagements ?

Soyons clairs : nous ne devons pas renoncer à l’aide humanitaire, mais nous devons remédier à notre dépendance excessive à son égard. Parce qu’elle est conçue pour des réponses humanitaires à court terme. Parce qu’elle s’épuise rapidement et qu’elle n’est pas destinée à soutenir des activités à long terme ou récurrentes. Parce qu’elle crée non seulement une dépendance, mais ne contribue guère au développement des capacités nationales. En fait, elle peut même avoir pour effet de les saper et de les affaiblir. Pensez aux écoles financées par les budgets humanitaires qui, pendant de nombreuses années, n’ont été accessibles qu’aux réfugiés. Ou à la formation professionnelle qui exclut les membres de la communauté locale. Ces systèmes parallèles offrent des possibilités limitées, ne sont pas viables financièrement et créent des tensions au sein des communautés en dressant les personnes déplacées et leurs hôtes les uns contre les autres. La même chose se produit lorsque les services locaux et les opportunités sont refusés aux personnes déplacées. C’est une source d’instabilité. Surtout dans un contexte où plus de la moitié des réfugiés ont moins de 25 ans. Le professeur Muhammad Yunus, conseiller principal du nouveau gouvernement du Bangladesh, a évoqué avec éloquence le sort de centaines de milliers de jeunes réfugiés rohingyas – dépendants d’une aide humanitaire décroissante, déconnectés des opportunités, mais connectés au monde, où de nombreuses forces négatives se cachent, prêtes à exploiter leur désespoir.

L’exclusion n’est pas seulement une mauvaise chose, elle constitue un risque. L’intégration des réfugiés et des personnes déplacées au sein des communautés d’accueil, si les circonstances le permettent, est une option plus durable.

Permettez-moi de m’attarder un instant sur l’inclusion. Je sais que de nombreux pays d’accueil craignent à juste titre que l’inclusion et l’intégration ne mènent au même résultat – alors qu’une intégration permanente peut être tout simplement impossible dans certains contextes.

Mais l’inclusion n’est pas l’intégration. L’inclusion est prévue pour la durée du déplacement, pour l’autosuffisance, dans la mesure du possible. Cela ne change rien à l’engagement que nous avons tous pris de trouver des solutions durables. D’œuvrer en faveur du retour dans la sécurité et la dignité, de la réinstallation ou d’autres voies, comme le stipule clairement le Pacte mondial sur les réfugiés.

Et en effet, beaucoup d’entre vous incluent déjà les réfugiés ! Et ce, dans des contextes très différents. En Ouganda, en Colombie, en Mauritanie, au Brésil, en Iran, au Mexique – la liste est longue. Ce que tous ces pays ont conclu – tout comme le Kenya qui se prépare à lancer le plan « Shirika » – c’est qu’il est plus efficace et plus durable pour les réfugiés d’être autonomes et d’être inclus dans les structures et les systèmes nationaux que de dépendre entièrement de l’aide humanitaire.

Les pays d’accueil ont également une autre préoccupation : celle d’être laissés seuls, avec une aide humanitaire qui diminue et une aide au développement pour les réfugiés et les hôtes qui tarde à venir, si elle vient. Cette inquiétude est tout à fait compréhensible et nous travaillons avec les acteurs du développement pour y répondre. Parce que le soutien durable aux réfugiés et à leurs hôtes n’est pas possible sans l’aide internationale. Et parce que ce modèle ne consiste pas à transférer le fardeau aux pays d’accueil. Il s’agit de renforcer – y compris par un soutien financier – les capacités et la résilience des pays et des communautés d’accueil afin qu’ils puissent inclure avec succès et de manière durable les personnes déplacées dans leurs systèmes de réponse nationaux aussi longtemps que les personnes déplacées seront présentes.

Cette approche présente plusieurs avantages évidents. Elle bénéficie plus clairement et plus directement aux communautés d’accueil. Elle s’appuie sur le capital humain des personnes déplacées, qui sont à leur tour plus engagées envers les communautés d’accueil dans lesquelles elles vivent parce qu’elles deviennent membres à part entière de la communauté. Elle permet aux pays d’accueil d’attirer des financements supplémentaires pour le développement, y compris dans les régions reculées où se trouvent souvent les réfugiés. Elle profite au HCR, qui peut ainsi se concentrer sur la protection et les solutions. Et aux donateurs, car cette approche permet d’alléger la pression sur le financement de l’aide humanitaire.

Aujourd’hui, les professionnels de la santé soudanais travaillent dans les cliniques et les hôpitaux de Juba. Dans les pays européens, les réfugiés ukrainiens ont accès au marché du travail. L’inclusion des réfugiés contribue à la croissance économique et à la stabilité sociale. La littérature à ce sujet est claire et abondante. L’inclusion n’est pas seulement une approche pour le présent. Il s’agit d’un investissement pour l’avenir. L’inclusion permet aux réfugiés de mieux se préparer à leur éventuel retour dans leur pays d’origine.

Au HCR, nous sommes impatients de travailler avec les États intéressés pour progresser sur la voie de la durabilité. Toutes les situations ne sont pas forcément propices, et il serait évidemment erroné d’appliquer une approche « unique » à des contextes très différents. Mais partout où il existe un potentiel et une volonté, nous sommes prêts à nous engager.

De notre côté, nous travaillerons sur des partenariats plus solides, avec les gouvernements hôtes, les organisations de développement, les institutions financières, les banques multilatérales. Dans de nombreux endroits, de l’Ouganda à la Colombie, la coopération est bien avancée et a un impact. Nous allons également multiplier les efforts pour mobiliser l’attention et les ressources du secteur privé, en libérant le potentiel – en termes d’investissements, de valeur marchande et de capital humain – des communautés déplacées et des communautés d’accueil.

Comme d’autres organisations humanitaires, nous y travaillons depuis plusieurs années déjà. Mais nous devons accélérer le rythme, passer à l’échelle supérieure et impliquer davantage de partenaires. Nous savons, grâce aux consultations régionales et aux réunions bilatérales, que de nombreuses appréhensions subsistent, notamment à propos de la mise en œuvre – y compris la manière dont cette nouvelle approche s’inscrira dans d’autres cadres existants au niveau national. Des questions se posent également sur le financement, sur la manière dont le passage à un modèle d’aide durable fonctionnerait différemment dans les pays à revenu moyen et à faible revenu, par exemple.

Nous sommes à votre écoute. Nous poursuivrons le dialogue de manière ouverte et consultative, comme nous l’avons toujours fait, afin d’aborder progressivement ces questions importantes. J’ai demandé à Raouf Mazou, le Haut Commissaire assistant chargé des opérations, de coordonner la discussion de notre côté. Nous devrons également approfondir notre réflexion sur la manière dont nous programmons et budgétisons, notamment sur la question de savoir si nous devrions passer à des budgets pluriannuels pour soutenir la planification stratégique – cruciale pour maintenir l’autosuffisance, comme c’est déjà la pratique dans de nombreuses opérations du HCR.

Mais rien de tout cela ne pourra se faire – ni même être décidé – sans consultations avec vous, dans le plein respect de notre structure et de nos mécanismes de gouvernance : un respect qui, je l’espère, sera mutuel. Et je dirais que les pays d’accueil devraient assurer la direction de ces consultations, afin que leurs préoccupations et leurs besoins restent au centre de nos préoccupations au fur et à mesure que nous avançons.

Madame la Présidente,

Avant de conclure, permettez-moi de dire à quel point je suis heureux que l’apatridie fasse l’objet d’une attention particulière lors de la réunion du Comité exécutif de cette année.

En 2014, nous avons lancé la campagne #IBelong, avec l’objectif de mettre fin à l’apatridie en l’espace d’une décennie. Il s’agissait d’un objectif très ambitieux. Même si nous n’avons pas éradiqué l’apatridie, les progrès réalisés au cours de la dernière décennie ont montré que nous étions sur la bonne voie.

Plus d’un demi-million de personnes ont obtenu la nationalité depuis le lancement de la campagne #IBelong. Un demi-million de personnes qui sont devenues des membres visibles de la société. Qui ont obtenu le droit de faire des choses que nous tenons pour acquises tous les jours : ouvrir un compte bancaire, s’inscrire à l’école.

Dans un contexte où les solutions sont si complexes à mettre en œuvre, il est important de prendre un moment et de célébrer ces réalisations, qui ont un impact si profond sur la vie de ceux qui peuvent enfin revendiquer leur nationalité – leur identité, vraiment – et proclamer, sans peur et sans aucun doute, qu’ils existent.

Je tiens à vous féliciter tous pour vos efforts et votre engagement, et plus particulièrement le Kirghizstan, qui est devenu le premier pays à résoudre tous les cas connus d’apatridie. Il vient d’être rejoint ces dernières semaines par le Turkménistan dans cette réalisation exceptionnelle. Vraiment, bravo à ces deux pays. Et bravo à toutes les parties prenantes : organismes régionaux, groupes de la société civile, organisations dirigées par des apatrides – dont certaines sont représentées ici aujourd’hui – mes propres collègues, et bien sûr les apatrides eux-mêmes, pour vos contributions et pour la manière collaborative dont les progrès ont été réalisés.

Bien sûr, des lacunes subsistent – dans les cadres juridiques, les données et les solutions disponibles. Notre travail n’est pas terminé : nous en saurons plus sur la suite dans quelques instants !

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Chers collègues et amis,

En conclusion, et alors que nous nous tournons vers l’année à venir, laissons ces mots résonner dans nos oreilles : notre travail n’est pas encore terminé. L’année prochaine – l’année au cours de laquelle le HCR fêtera son 75eme anniversaire – sera certainement une nouvelle année de défis. Je vous demande à tous de continuer à travailler – ensemble et avec humilité – pour saisir toutes les occasions de trouver des solutions pour les réfugiés. Nous devons nous appuyer sur la promesse du Sommet de l’avenir.

Et ce faisant, je vous prie de vous accrocher à l’espoir. L’espoir que la paix s’installe enfin dans tous ces pays où elle semble si lointaine, si improbable.

Car, et je cite ce que le pape François a dit hier, la guerre « est une défaite pour tous, surtout pour ceux qui se croient invincibles ».

Rappelons-nous que les guerres aussi ont une fin.

Publie par le HCR, le 14 octobre 2024.

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