Je rencontre plusieurs réfugiés lors de mon travail avec le HCR. Certains d’entre eux ne se gênent pas de relater les épreuves de leur vie en exile, et partagent avec moi leurs préoccupations face à l’avenir de leurs enfants, et même leurs problèmes conjugaux. Je me souviens d’une fois lorsque qu’une femme m’a mené à sa tente pour me demander de gronder son époux qui la battait. Un autre couple m’a demandé de m’asseoir avec eux pour siroter une tasse de thé et discuter les raisons pour lesquelles ils ne s’emblaient pouvoir s’entendre. J’étais leur thérapeute conjugale pour la journée.
Je me suis toujours dis que ceux qui discutent si aisément de leurs maux avec moi surmonteront sûrement ces épreuves, d’un moyen ou d’un autre. C’est pour ceux qui demeurent silencieux que je m’inquiète, comme Heba.
Nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans la plaine de la Bekaa au Liban à une exhibition de photographie produite par des jeunes réfugiés syriens. Heba se démarquait dans la foule. Il y avait tant de tristesse dans ses grands yeux verts, et elle semblait si pensive malgré l’atmosphère joviale.
Je me suis approchée et nous avons parlé des photos prises par ses filles. Elle s’est tranquillement ouverte à moi, et m’a raconté le désespoir qu’elle ressentait de ne pas pouvoir inscrire ses deux filles à l’école. « Ne me pense pas une mauvaise mère, mais parfois je crois que c’était injuste d’avoir donné naissance à mes enfants, » me dit-elle, le cœur lourd.
La vie était différente à Damas, où elle et son époux, Hassan, avait de bons emplois et suffisamment d’argent pour inscrire leurs deux filles à une bonne école. Avec leur fils nouveau-né, Jaafar, le couple se comptait très reconnaissant.
Hélas, la guerre bouleversa leur vie. Heba m’a raconté la fois où son époux, Hassan, s’est fait enlever pour la cinquième fois. Elle m’a aussi raconté la fois où l’école de ses filles s’est fait bombarder. Les filles s’en sont sortie saines et sauves, mais Heba et Hassan n’en pouvaient plus. La famille a fui au Liban.
Ils ne se sont pas immédiatement inscrits avec le HCR, puisqu’ils croyaient qu’il y en avait « d’autres qui le méritaient plus qu’eux, » dit Heba. Toutefois, deux ans plus tard, ayant déboursé leurs épargnes pour payer le loyer et de la nourriture, ils comptent aussi sur de l’assistance du HCR. Afin de pouvoir nourrir leur famille, Hassan a repris l’un de ses vieux passe-temps, la pêche. Il y va à chaque matin—qu’il neige, pleuve, ou qu’il fasse soleil—pour procurer de la nourriture pour sa famille.
Je vois encore Heba et sa famille quand l’occasion se présente. Entre temps, nous communiquons régulièrement par l’entremise de Whatsapp, un applis mobile de messagerie, pour s’échanger nos nouvelles.
Lors du dernier au revoir, Heba m’a serré bien fort et a chuchoté dans mon oreille : « Je ne sais pas ce que les prochains mois et les prochaines années nous porteront, mais si quoi que ce soit arrive à moi ou mon époux, tu es la seule personne à qui je fais confiance au Liban pour prendre soin de mes enfants. »
Mais comment réagir à une telle pensée? Je me suis tenue là, les larmes aux yeux, la rassurant que sa famille serait bien.
Depuis, Heba a réussi à inscrire ses filles à l’école. Hassan continue de pêcher, sa chance variable, et Heba et moi continuons de se parler en ligne, espérant pouvoir se revoir bientôt.
Par : Warda Al-Jawahiry