La solidarité dont font preuve les communautés locales congolaises s’avère vitale dans la réponse aux déplacements forcés massifs, mais des pénuries de fonds mettent en péril la capacité du HCR à leur assurer un soutien.
Le revenu de Justine Mbilizi généré par la vente du vin de palme qu’elle produit avec sa mère suffit à peine pour nourrir sa propre famille nombreuse et les quatre autres enfants qu’elle a accueillis chez elle.
Les enfants et leurs parents avaient fui les attaques menées par des groupes armés contre leur village situé sur les hauts plateaux de Minembwe, dans la province du Sud-Kivu en République démocratique du Congo (RDC).
« Le voyage a été très traumatisant pour eux », explique Justine, 40 ans, qui vit avec sa mère, ses cinq enfants et son mari, en plus des quatre enfants et de leur père.
Elle explique que la mère des enfants est morte du fait de complications lors d’un accouchement alors qu’ils étaient en fuite. Leur père est absent toute la semaine car il recherche du travail dans le domaine agricole.
Dans l’est de la RDC, la violence accrue a forcé jusqu’à un million de femmes, d’hommes et d’enfants à fuir leur foyer, durant la seule année 2020, en quête de sécurité au sein d’autres familles congolaises locales comme celle de Justine.
A travers le monde, on compte environ 80 millions de personnes déracinées par les conflits et la persécution, dont 45,7 millions ont fui vers d’autres régions au sein de leur propre pays.
Au total, quelque 5,2 millions de personnes en RDC sont actuellement déplacées à l’intérieur des frontières de leur propre pays en raison des violences et de l’insécurité, ce qui en fait la troisième source de déplacement interne forcé dans le monde après la Colombie et la Syrie.
Les groupes armés attaquent continuellement les civils et pillent les villages. Beaucoup d’habitants n’ont pas d’autre choix que de fuir avec à peine davantage que les vêtements portés ce jour-là. Les femmes et les jeunes filles sont souvent exposées à la violence sexuelle et le voyage vers des lieux plus sûrs peut prendre plusieurs jours, obligeant les familles à dormir en plein air.
L’hospitalité dont font preuve les communautés locales, dont les ressources propres sont souvent limitées, constitue une bouée de sauvetage vitale, ce qui incite le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, à allouer son aide tant au bénéfice des personnes contraintes de fuir que des familles qui les accueillent. De sévères pénuries de fonds menacent toutefois ces efforts, laissant les familles vulnérables exposées à des conditions de vie désastreuses.
« Quand j’ai rencontré les membres de cette famille, elle était très triste et profondément traumatisée. Ils avaient vraiment besoin d’un endroit qu’ils puissent considérer comme leur chez-soi », explique Justine. « Je ne pouvais pas les laisser seuls. Mon mari a accepté que nous prenions soin d’eux, ils font donc désormais partie de notre famille. »
« Je ne peux pas voir mon peuple souffrir alors que j’ai de la place chez moi. »
« La vie n’est pas facile pour ces enfants », ajoute-t-elle. « Non seulement ils ont dû fuir la violence, mais aussi ils ont perdu leur mère dans des circonstances dramatiques. Ils ne mangent pas bien, et ils ont du mal à s’adapter au nouveau climat, qui est plus chaud ici. »
Leur père a du mal à joindre les deux bouts, gagnant très peu malgré ses longues journées de travail dans les champs.
Dans un village voisin appelé Kitoko, Mangasa et son mari hébergent également un couple de personnes âgées et leurs deux petits-enfants. Asha, 80 ans, a du mal à marcher, rendant très difficile sa quête de sécurité.
« J’ai dû marcher pendant cinq jours pour arriver au village. Le voyage n’a pas été facile car nous avons dû descendre des montagnes pour atteindre Kitoko. Il m’a fallu rassembler toutes mes forces et faire preuve de persévérance, mais je suis très reconnaissante de vivre avec la famille de Mangasa », dit Asha.
Au Nord-Kivu voisin, Zeferina, 56 ans, a ouvert sa maison à trois familles déplacées. Sa maison est spacieuse et moderne, par rapport à de nombreuses autres dans le voisinage, qui sont construites à base de boue.
« Je ne peux pas voir mon peuple souffrir alors que j’ai de la place chez moi », dit-elle.
Elle s’occupe déjà de huit enfants et en accueille jusqu’à dix autres ainsi que leurs mères.
« Ils ont fui à cause de la violence et, quand ils sont arrivés ici, ils étaient épuisés et effrayés. Je ne peux pas les laisser souffrir », ajoute l’hôte attentionnée.
Dans le cadre du programme du HCR pour les abris, en plus de fournir des matériaux pour permettre aux familles déplacées de construire leurs propres logements, l’agence aide également les familles d’accueil à construire des extensions à leur propre maison, ce qui permet de réduire la surpopulation et d’améliorer les conditions de vie dans les zones d’accueil.
A Oicha, dans la région de Beni à l’est de la RDC, Evan finalise actuellement la construction de son propre abri, grâce au soutien du HCR. Kahumba et sa famille de huit personnes, qui vivent dans une modeste maison de briques de terre crue, l’ont accueilli avec sa femme et ses quatre enfants pendant plusieurs mois. Comme leur maison était très petite, la famille d’Evan dormait dans le salon, à même le sol.
« Nous sommes très reconnaissants d’avoir été hébergés chez nos hôtes, quand nous n’avions nulle part où aller. »
« Nous sommes très reconnaissants d’avoir été hébergés chez nos hôtes, quand nous n’avions nulle part où aller », explique le jeune homme de 39 ans. « Désormais, nous avons notre propre espace qui nous permet de vivre dans la dignité. »
« Ils n’avaient nulle part où vivre, alors que j’avais une maison disponible pour les accueillir. Nous avons eu des difficultés à fournir de la nourriture à tout le monde, et la maison était toujours très exiguë. C’est vraiment bien qu’ils aient maintenant leur propre abri », dit Kahumba, qui est heureuse d’avoir à nouveau davantage d’espace dans sa maison.
Ibrahima Diané, le chef du bureau local du HCR à Beni, souligne l’importance du soutien envers la communauté d’accueil.
« Nous ne pourrions jamais aider les centaines de milliers de personnes déplacées sans le rôle crucial que jouent les familles d’accueil », explique-t-il. « Pour qu’elles puissent continuer à le faire, nous devons soutenir l’ensemble de la communauté. »
En plus des abris, le HCR fournit également une assistance aux communautés affectées par les déplacements forcés en réhabilitant les salles de classe, en installant des pompes à eau pour fournir de l’eau potable et en menant des projets qui créent du travail pour la communauté.
« Grâce à cette approche communautaire, nous renforçons la résilience de la communauté qui est en première ligne pour répondre aux déplacements forcés récurrents vers leurs villages et leurs maisons, et nous aidons à réduire les tensions éventuelles », ajoute Ibrahima Diané.
En octobre 2020, le nombre total de personnes ayant fui leur foyer en RDC a atteint près de 5,2 millions, dont près de 3 millions dans les seules provinces du Nord- et du Sud-Kivu. La plupart d’entre elles sont hébergées au sein de familles déjà confrontées à des conditions de surpopulation, où la distanciation sociale est impossible.
Cette année, quelque 35 000 familles, soit 175 000 personnes au Nord- et au Sud-Kivu, ont reçu une aide au logement de la part du HCR. Il s’agit notamment d’abris d’urgence et communautaires, de maisons de transition et d’allocations d’aide pour le paiement du loyer. Quelque 15 000 familles ont déjà terminé leurs abris, tandis que 20 000 autres mènent actuellement les travaux de construction.
Mais un grave manque de financement menace de réduire la capacité du HCR à aider les personnes dans le besoin en 2021.
Le budget consacré aux abris pour le Nord- et le Sud-Kivu diminuera d’au moins 85% en 2021, ce qui pourrait laisser des milliers de familles sans abri. Le budget alloué à la protection communautaire diminuera également de 57%, ce qui entravera la capacité du HCR à répondre aux besoins des communautés locales et à promouvoir la coexistence pacifique et l’autonomisation des femmes.
Un financement supplémentaire est nécessaire d’urgence afin de permettre au HCR de continuer à contribuer à des solutions durables pour les personnes forcées de fuir dans l’est de la RDC en 2021, et d’apporter son appui envers la solidarité dont elles bénéficient de la part des communautés locales congolaises.
Publie par le HCR, le 13 janvier 2021