La romancière chilienne est elle-même une ancienne réfugiée. Le sort des réfugiés est au cœur de son nouveau roman.
Par Coco Campbell à Londres
Beaucoup considèrent les réfugiés comme de simples statistiques, alors que 70 millions de personnes sont aujourd’hui déracinées à travers le monde. Mais Isabel Allende se désolidarise de ce point de vue et considère les réfugiés comme des personnes à part entière et dignes de notre compassion.
« Quand vous êtes un réfugié, vous quittez votre pays, votre tribu, et vous devez vous constituer une nouvelle communauté. Sans l’aide d’autres êtres humains, il est impossible d’y parvenir », a-t-elle expliqué lors d’une récente interview.
Son tout dernier roman, intitulé « Largo pétalo de mar » dans sa version originale, retrace un épisode historique de la guerre civile espagnole de 1936-1939 et permet à la romancière de mettre en lumière son propos.
« Quand vous êtes un réfugié, vous quittez votre pays, votre tribu, et vous devez vous constituer une nouvelle communauté. »
Le livre décrit le parcours du personnage fictif de Viktor Dalmau, l’un des 500 000 réfugiés qui ont fui la guerre vers la France, où nombre d’entre eux ont été détenus dans de sinistres camps d’internement. Beaucoup sont morts.
Le poète chilien Pablo Neruda avait réagi à cette tragédie humaine en mettant à disposition un vieux cargo appelé le Winnipeg pour transporter 2000 réfugiés vers le Chili.
Isabel Allende était récemment à Londres pour promouvoir son livre et a été interviewée par Rosianna Halse Rojas, une sympathisante du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Rosianna Halse Rojas est une vlogueuse célèbre et co-fondatrice du Life’s Library Book Club.
https://twitter.com/Refugees/status/1235499251456753665
Au cours de la conversation, Isabel Allende a expliqué la logique qui sous-tend le choix de son récit et a partagé son point de vue selon lequel le rôle d’un romancier est de créer de l’empathie.
« En fait, le thème de ce livre, c’est la nécessité de faire preuve d’une certaine ouverture d’esprit … Lorsqu’on raconte une histoire, qu’on fait connaître les détails de la vie d’un personnage, on permet au lecteur de s’identifier », a-t-elle expliqué.
« Les réfugiés espagnols ont été profondément traumatisés par le deuil et l’éloignement, mais leurs regards étaient tournés vers l’avenir », a-t-elle dit.
Le parcours d’Isabel Allende en tant que réfugiée lui a permis de rendre son récit plus réel.
Après la mort du président Salvador Allende, le cousin de son père, lors d’un coup d’État militaire en 1973, elle a risqué sa vie pour les victimes de l’oppression en organisant leur départ du Chili. Elle n’a abandonné son pays que lorsqu’elle a elle-même reçu des menaces de mort.
En arrivant au Venezuela, elle pensait qu’elle ne resterait que quelques mois. Mais il n’était pas sûr de rentrer au Chili et finalement, sa famille l’a rejointe dans ce pays d’Amérique du Sud, où elle a passé 13 ans.
« Les gens qui sont désespérés ont besoin de trouver un endroit où ils se sentent en sécurité. »
Au début, le nouveau pays l’a déstabilisée. Tout d’abord, elle a trouvé étrange de se trouver dans un endroit où elle pouvait vivre sans crainte.
« C’était dur. Mais ensuite, j’ai rencontré des familles vénézuéliennes et elles étaient si gentilles et accueillantes », a-t-elle déclaré.
C’est pendant son exil au Venezuela qu’elle a écrit le roman qui l’a fait connaître, La Maison aux esprits. Depuis, elle a écrit plus de 20 romans et des mémoires qui, ensemble, se sont vendus à plus de 56 millions d’exemplaires et ont été traduits dans plus de 30 langues.
Il ne fait aucun doute que son expérience personnelle de la peur, de la fuite et de l’accueil a stimulé sa créativité et a contribué à faire d’elle une des romancières les plus importantes et les plus respectées d’Amérique latine.
Cette expérience personnelle rend également son roman profondément touchant.
« La question des réfugiés est dans l’air du temps et les gens pensent que le problème peut être résolu en construisant des murs, mais cela ne fonctionne pas comme ça. Les gens qui sont désespérés ont besoin de trouver un endroit où ils se sentent en sécurité… Il est important de trouver ensemble des solutions mondiales à cette problématique », a-t-elle conclu.
Publie par le HCR, le 05 mars 2020