Les attaques et les persécutions contre les civils ont contraint des dizaines de milliers de Burkinabés à quitter le pays ces derniers mois, dans une région déjà en proie à l’insécurité alimentaire et aux effets du changement climatique
Par Lalla Sy en Côte d’Ivoire et Fidelia Bohissou au Togo
Peu après l’entrée de milices armées dans le village de Kalizeta, dans le nord du Burkina Faso, un ami de son frère aîné a été enlevé. Son corps a ensuite été retrouvé dans la forêt. Puis, explique-t-elle, ils ont commencé à sermonner la population et à ordonner au personnel médical de la région de ne pas prendre en charge les patients du sexe opposé.
Âgée de 35 ans, Kalizeta travaillait comme aide-soignante à l’hôpital local. Craignant pour sa sécurité, elle a décidé de fuir vers Ouagadougou, la capitale du pays, mais a ensuite pris la direction du sud, jusqu’à la frontière avec la Côte d’Ivoire, et a franchi la frontière pour rejoindre la ville de Sikolo. « Je ne pouvais pas rester à Ouagadougou parce que je n’avais personne là-bas. La vie y est chère. C’est pourquoi nous sommes venus ici. J’espère pouvoir trouver du travail », explique-t-elle.
La situation sécuritaire au Burkina Faso s’est considérablement détériorée ces derniers mois, avec une augmentation des attaques contre les civils et des violations généralisées des droits humains commises par des groupes armés non étatiques. Depuis novembre 2022, plus de 60 000 demandeurs d’asile burkinabés ont fui vers les pays côtiers voisins, notamment la Côte d’Ivoire, le Togo, le Ghana et le Bénin.
Ce nouvel afflux de réfugiés exerce une pression supplémentaire sur les ressources très limitées des pays et communautés d’accueil, qui font face à une grande pauvreté et aux conséquences de plus en plus graves du changement climatique.
“Lorsque les groupes armés sont arrivés, tout a basculé.”
« Nous puisons l’eau à la pompe du marché. Nous y allons le matin et nous ne revenons pas avant 14 heures parce qu’il y a beaucoup de monde et que nous devons attendre notre tour », raconte Kalizeta.
« Je me sentais bien au Burkina Faso, je vivais dans une belle maison, je dormais tranquillement, je mangeais à ma faim. Mais quand les groupes armés sont arrivés, tout a basculé », ajoute-t-elle. « Nous ne pouvions plus cultiver nos champs, les menaces étaient constantes. » Si tout se passe bien en Côte d’Ivoire, je ne retournerai pas au Burkina Faso.
La plupart des personnes qui fuient sont des femmes et des enfants. Bon nombre d’entre eux ont été exposés à la violence basée sur le genre et ont subi des traumatismes psychologiques.
Koné Minata, 44 ans, a fui avec ses six enfants vers la Côte d’Ivoire. Ils ont traversé la frontière à moto, par groupes de deux, pour éviter d’être repérés par les groupes armés. « Il arrivait qu’ils attrapent un voisin et le tuent après l’avoir interrogé. Pensez-vous que nous voulions rester là après cela ? C’est pourquoi nous avons fui », affirme-t-elle.
Outre les 92 000 réfugiés burkinabés qui se trouvent actuellement dans six pays voisins, la violence endémique a déplacé plus de 2 millions de personnes à l’intérieur des frontières du pays. L’insécurité généralisée exacerbe également les pénuries alimentaires. Les Nations Unies prévoient que 3,3 millions de personnes seront confrontées à une insécurité alimentaire aiguë dans les mois à venir.
Par ailleurs, les personnes qui ont fui au-delà des frontières ne savent pas quand, ni même si, elles pourront un jour rentrer chez elles.
« Nous nous débrouillons comme nous pouvons. Cela me fait mal de devoir vivre comme ça, alors que je vivais tranquillement chez moi et que je pouvais profiter de ma liberté. A présent, nous sommes entassés ici », déclare Minata. « Je serais heureuse si la situation venait à s’améliorer, mais je ne retournerai pas chez moi car j’ai vu les gens se faire massacrer la-bas. »
Le soutien aux communautés d’accueil est essentiel
En réponse à l’augmentation des déplacements forcés, le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, renforce sa présence dans les pays d’accueil afin de soutenir les gouvernements et les communautés locales en collaboration avec d’autres acteurs humanitaires.
Le HCR salue les efforts déployés par les pays d’accueil pour maintenir les frontières ouvertes, enregistrer les nouveaux demandeurs d’asile et soutenir les communautés d’accueil.
En Côte d’Ivoire, l’agence travaille de concert avec les autorités pour relocaliser les réfugiés sur une base volontaire depuis les villages frontaliers vers deux nouveaux sites actuellement en construction dans les régions de Bounkanj et de Tchologo.
« Nous continuons à recevoir presque quotidiennement de nouveaux arrivants en provenance du Burkina Faso », indique Rokya Diakite, responsable de la protection au HCR en Côte d’Ivoire. « Ces personnes qui arrivent dans le nord de la Côte d’Ivoire fuient la persécution. Nous saluons la décision du gouvernement ivoirien de maintenir la frontière ouverte. »
« Nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement et d’autres partenaires pour veiller à ce que les droits des réfugiés soient respectés. L’enregistrement biométrique des nouveaux arrivants se poursuit, grâce notamment au soutien financier du gouvernement américain. »
Au Togo, les autorités procèdent à l’enregistrement des réfugiés burkinabés avec le soutien du HCR. L’agence plaide également auprès des gouvernements hôtes de la région pour qu’ils accordent la priorité à la mise en place d’un soutien communautaire en faveur des réfugiés du Burkina Faso, afin de leur garantir une protection à long terme et de faciliter la recherche de solutions durables.
« Cette approche axée sur le soutien communautaire vise à permettre aux zones d’accueil d’absorber les nouvelles arrivées en renforçant les services existants tels que les écoles, les établissements de santé, l’eau, l’assainissement et l’hygiène », précise Rokya Diakite.
En attendant, Minata dit espérer que ses enfants pourront poursuivre leurs études en Côte d’Ivoire qui, comme d’autres pays de la région, mène depuis longtemps une politique d’intégration des enfants réfugiés dans le système d’éducation national.
Publie par le HCR, le 20 juillet 2023.