Le réchauffement de la planète aggrave les menaces qui pèsent sur les personnes déjà affectées par le conflit et l’insécurité, ce qui accentue les déplacements de population à travers le monde.
Par le personnel du HCR
Il y a deux ans, David Cruz* était encore propriétaire de sa terre au Nicaragua où il élevait du bétail et des poulets. Il cultivait aussi des tomates et des piments. Mais ce mode de vie était menacé avant même que son rôle dans les manifestations ne fasse de lui une cible de la persécution.
Au fil des années, le climat de sa région au Nicaragua était devenu plus sec et imprévisible. Lorsqu’il pleuvait, les pluies étaient souvent torrentielles et endommageaient ses cultures.
« Mes récoltes sont devenues mauvaises », a-t-il déclaré. « Et comme les autorités me considérait désormais comme un ‘ennemi’, elles m’ont empêché d’obtenir des prêts dont j’aurais eu besoin pour de nouvelles semences. »
Ce n’est pas seulement le changement climatique qui a forcé David à abandonner sa ferme et à fuir au Costa Rica mais, pour lui et un nombre croissant de personnes dans le monde, c’est un facteur important qui a engendré son déplacement.
Alors que notre planète se réchauffe, les impacts sont inégaux. Mais les personnes vulnérables vivant dans certains des pays les plus fragiles et les plus touchés par les conflits subissent des effets parmi les plus graves, allant des sécheresses aux inondations.
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Du Nicaragua au Niger, les habitants de zones rurales luttent pour pouvoir cultiver aux fins de subvenir aux besoins de leur famille ou pour trouver des pâturages pour leurs animaux. Leur quête de pâturages moins arides les expose à de nouveaux risques lorsqu’ils se déplacent vers les zones urbaines, et elle peut même générer des différends avec d’autres habitants.
Après avoir observé pendant plus d’une décennie l’affaiblissement progressif de son troupeau de bovins du fait des pluies irrégulières dans le sud-ouest du Niger, Djouba Fedou, 60 ans, a commencé à les déplacer depuis son village, près de la frontière avec le Mali, vers d’autres zones où ils pouvaient paître. Mais ses animaux traversaient alors des terres agricoles et ils piétinaient parfois les cultures, ce qui exaspérait les agriculteurs.
« Nos parents n’ont pas eu à endurer ces situations. »
« Les autorités locales avaient l’habitude de m’appeler chaque semaine parce que du bétail se trouvait dans les champs des agriculteurs et je devais payer pour cela », dit-il. « Parfois, je vendais même des vaches pour [payer des amendes et] me libérer, ainsi que mes enfants. »
« Nos parents n’ont pas eu à endurer ces situations. »
Lorsque la violente insurrection, qui s’était propagée au Niger depuis des pays voisins, le Mali et le Burkina Faso, a atteint le village de Djouba, il avait déjà renoncé à son métier d’éleveur de bétail. Avec ses deux femmes et leurs dix enfants, il a fui vers un site à Intikane, dans la région de Tahoua, où des déplacés internes nigériens vivent aux côtés de réfugiés maliens. Ils ont reçu un abri et de la nourriture sur le site mais, sans son bétail, Djouba a peu d’espoir de pouvoir renouer un jour avec l’autosuffisance.
OURAGANS, SÉCHERESSES ET CONFLITS
En 2019, les risques liés aux conditions météorologiques ont généré quelque 24,9 millions de déplacés dans 140 pays à travers le monde.
La plupart des déplacements liés au changement climatique ont lieu à l’intérieur des frontières nationales. Les personnes qui fuient les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les ouragans, les cyclones et les inondations, par exemple, ont tendance à rester le plus près possible de chez elles et à rentrer lors de la baisse du niveau des eaux. Les déplacements et les mouvements plus longs à travers les frontières internationales sont plus probables lorsque des facteurs supplémentaires entrent en jeu.
En Amérique centrale, dans le « couloir sec » – une étendue de terres agricoles montagneuses de plus en plus arides qui s’étend du Guatemala au nord du Costa Rica – de nombreux petits agriculteurs fuyant la sécheresse et les tempêtes dévastatrices se déplacent d’abord vers une ville voisine. Mais les villes de la région peuvent être des lieux inhospitaliers pour les nouveaux arrivants ruraux. La pénurie d’emplois et de logements les contraint souvent à s’installer dans des bidonvilles où ils sont exposés à la violence et à l’extorsion des gangs de rue, et aux inondations lors de la tempête suivante.
Les deux ouragans consécutifs qui ont traversé la région en novembre 2020 devraient aggraver les difficultés des personnes dont la vie était déjà précaire, à cause également de la pandémie de coronavirus.
« Désormais, l’augmentation des mouvements transfrontaliers est plus probable, y compris pour les personnes fuyant la persécution et les violences », a déclaré Giovanni Bassau, le représentant régional du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, en Amérique centrale, après la première tempête, l’ouragan Eta.
Le changement climatique lui-même amplifie l’impact d’autres menaces qui entraînent des déplacements – l’aggravation de la pauvreté et l’intensification des pressions sur les ressources et la gouvernance qui peuvent attiser les conflits et la violence.
La région du Sahel, où se trouve le Niger, est l’une des régions du monde les plus durement touchées par le changement climatique. Les températures dans la région augmentent 1,5 fois plus vite que la moyenne mondiale.
Alors que les saisons des pluies sont plus courtes et que les saisons sèches durent plus longtemps, la population augmente rapidement et davantage de terres sont consacrées à la culture, ce qui réduit encore les terres disponibles pour les éleveurs de bétail, comme Djouba.
Les différends fonciers et pour l’eau entre agriculteurs et éleveurs ont été exploités par des extrémistes cherchant à s’établir dans la région. Les pays du Sahel central, le Niger, le Mali et le Burkina Faso, sont aujourd’hui à l’épicentre de l’une des crises de déplacement à la croissance la plus rapide au monde, avec près de 1,6 million de déplacés internes et 365 000 réfugiés ayant fui la violence, dont plus de 640 000 durant la seule année 2020.
FONTE DES NEIGES EN BAISSE, INSÉCURITÉ CROISSANTE
La convergence entre le changement climatique et l’insécurité devient également évidente en Afghanistan, où la hausse constante des températures entraîne des changements dans les précipitations, la fonte des neiges et un risque accru d’inondations soudaines.
En 2018, une sécheresse a décimé les moyens de subsistance de dizaines de milliers de ménages dans le nord-ouest rural du pays.
Ghulam Sakhi, 45 ans, et sa famille de 10 personnes, vivaient dans une zone montagneuse de la province de Ghor, où ils dépendaient des pluies et de la neige hivernales pour remplir leur puits, cultiver leur terre et pour les pâturages de leur bétail. Sans pluie ni chutes de neige il y a trois ans, « nous avons tout perdu », a-t-il déclaré.
« Nous avons vendu nos animaux pour un tiers ou un quart de leur prix réel. »
« Nous avons vendu nos animaux pour un tiers ou un quart de leur prix réel. Quand cet argent a été épuisé, nous n’avions pas d’autre choix que de partir dans un endroit où nous pouvions gagner notre vie. »
Depuis deux ans et demi, Ghulam et sa famille vivent dans un abri précaire au sein d’un site de déplacés internes au sud de la ville d’Herat où ils dépendent d’une aide humanitaire en diminution.
Parallèlement, l’insécurité dans leur région d’origine s’est dégradée, réduisant encore davantage leurs perspectives de retour.
« Quand je vivais là-bas, il y avait déjà des problèmes de sécurité ; il y avait la sécheresse et les talibans. Mais maintenant, il y a encore davantage de talibans et ils se sont équipé de meilleures armes », a déclaré Ghulam.
« Je prie Dieu pour la paix afin que mes enfants puissent étudier et se sentir en sécurité et à l’aise. »
UNE ACTION RAPIDE EST NÉCESSAIRE
Lorsque les civils fuient leur foyer, ou même lorsqu’ils traversent les frontières, ils ne sont pas nécessairement à l’abri, que ce soit des effets du changement climatique ou d’autres facteurs.
En Afghanistan, la famille de Ghulam vit dans un site dont le sol devient saturé d’eau chaque hiver, ce qui provoque l’effondrement de leur abri. Cet hiver sera particulièrement difficile car la pandémie de Covid-19 a privé la famille du petit revenu que les enfants plus âgés gagnaient en tant que travailleurs occasionnels.
Au Niger, le site d’Intikane, où Djouba et sa famille ont cherché refuge, a été attaqué par 50 hommes armés à moto au début de l’année 2020. Trois personnes ont été tuées et Djouba faisait partie des milliers de réfugiés et de déplacés internes qui ont été temporairement forcés de fuir à nouveau.
Après des mois d’emplois précaires au Costa Rica, David venait de trouver un emploi stable en tant que gardien de sécurité lorsque le confinement a été imposé dans le pays et qu’il a été licencié. Il est aujourd’hui en retard de plusieurs mois pour le paiement de son loyer.
En réponse à ces défis, le HCR intensifie ses efforts pour assurer la sécurité de personnes comme David, Djouba et Ghulam. Grâce au Cadre stratégique sur l’action climatique développé en 2020, le HCR examine les lois et les accords internationaux et régionaux existants qui protègent les déplacés internes, afin qu’ils bénéficient aux personnes déracinées dans le contexte du changement climatique.
L’organisation cherche également à renforcer la résilience des personnes déracinées face aux risques climatiques et à d’autres risques environnementaux, par exemple en veillant à ce que les sites de réfugiés soient établis dans des lieux sûrs et durables et en atténuant la dégradation de l’environnement par le reboisement et d’autres efforts.
L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés cherche également à réduire ses propres émissions de gaz à effet de serre et à minimiser l’impact négatif de ses activités sur l’environnement. L’accent sera mis sur la transition vers des sources d’énergie durable, et de préférence renouvelable.
Alors que la pandémie de Covid-19 a exacerbé la vulnérabilité des personnes qui subissent déjà les effets du changement climatique, de l’insécurité et du déplacement, la réponse mondiale concertée peut offrir des enseignements utiles sur la manière dont nous répondons à ces défis émergents, a déclaré Andrew Harper, le conseiller spécial pour l’action climatique au HCR.
« Elle démontre que si nous voulons atténuer l’impact d’une catastrophe, nous devons être prêts à agir rapidement et de manière globale. Si nous l’ignorons, nous devrons faire face à de graves conséquences. »
*Son nom a été changé pour protéger son identité
Écrit par Kristy Siegfried, avec les informations complémentaires transmises par Austin Ramírez Reyes à San José, Costa Rica, Naik Mohammad Azamy à Herat, Afghanistan, et Boubacar Younoussa Siddo à Niamey, Niger.
Publié par le HCR, le 3 décembre 2020.