Par Reuben Lim Wende à Sittwe, Myanmar
Cela fait cinq ans que 700 000 Rohingyas ont fui vers le Bangladesh, et dix ans que des violences intercommunautaires ont secoué l’État de Rakhine. Ceux qui sont restés au Myanmar vivent dans une situation de grande incertitude.
Au cours de sa vie, Za Beda, une Rohingya de 27 ans vivant dans l’ouest de l’État de Rakhine au Myanmar, a dû s’adapter à des restrictions croissantes de ses droits et libertés.
En 2012, des affrontements intercommunautaires ont secoué l’État de Rakhine. Agée de 17 ans à l’époque, Za Beda venait de fonder sa propre famille. Comme des dizaines de milliers d’autres personnes, ils ont été contraints de fuir leur foyer.
Dix ans plus tard, plus de 153 000 Rohingyas comme Za Beda sont toujours déplacés, la majorité d’entre eux étant confinés dans des camps. En outre, 447 000 personnes résident dans des villages où elles ont peu de liberté de mouvement, ce qui les empêche de bénéficier de soins de santé, d’aller à l’école ou de gagner leur vie. Plus de 700 000 autres Rohingyas ont fui une nouvelle vague de violence en 2017 et vivent désormais comme réfugiés au Bangladesh et ailleurs dans la région.
Les restrictions relatives aux terres qui peuvent être affectées à la mise en place des camps font que nombre d’entre eux ne peuvent pas être agrandis pour accueillir des populations croissantes. Vivre dans un camp surpeuplé, avec des installations sanitaires limitées et une famille qui s’agrandit, a entraîné des problèmes pour Za Beda. « J’ai des difficultés à dormir car il n’y a pas assez de place pour nous huit dans notre abri. Je vais souvent chez mes voisins pour dormir », explique-t-elle.
L’accès aux soins de santé est un défi de plus. Za Beda, qui vit actuellement une grossesse difficile pour son troisième enfant, n’est pas encline à se faire soigner en raison de la lourdeur et du coût de la procédure administrative. Celle-ci implique notamment d’obtenir l’autorisation des administrateurs locaux, d’être accompagnée d’un homme et de passer par des points de contrôle où les extorsions sont fréquentes.
« Cela me chagrine lorsque des complications surviennent pendant un accouchement », souligne Hassinah Begom, une sage-femme qui s’occupe de Za Beda et d’autres femmes enceintes dans le camp. Bien qu’elle n’ait reçu aucune formation officielle, elle a fait naître avec succès plus de 500 enfants au cours de ses vingt ans de carrière. Elle est souvent la première personne à laquelle les mères font appel lorsqu’elles ont besoin d’aide.
« Dans les cas les plus graves, je dois les accompagner rapidement à l’hôpital. Nous ne pouvons pas sortir après 18 heures à cause du couvre-feu. Lorsque nous y allons, une seule personne est autorisée à accompagner le patient, et nous n’avons pas le droit d’apporter nos téléphones. Nous payons aussi des prix plus élevés pour les médicaments », raconte Hassinah Begom. « Heureusement, aucune mère n’est décédée sous ma surveillance. »
Afin d’améliorer les conditions de vie et de panser les plaies de l’histoire, le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et ses partenaires soutiennent les Rohingyas, les Rakhines et d’autres communautés déplacées dans l’État de Rakhine par le biais de la distribution d’articles ménagers, de la reconstruction d’abris, et de l’appui aux moyens de subsistance. Cette aide vise à atténuer les vulnérabilités liées notamment à la violence sexuelle et sexiste, tout en favorisant le dialogue entre les différentes communautés.
Mais les politiques consistant à nier l’égalité d’accès à la citoyenneté et aux services essentiels, ainsi que les restrictions de mouvement, ont maintenu les Rohingyas dans un état de marginalisation et de forte dépendance vis-à-vis de l’aide humanitaire. « Aucune forme d’assistance ne suffira à résoudre cette crise », affirme Federico Sersale, chef du bureau du HCR à Sittwe, la capitale de l’État de Rakhine. « S’il est impératif de venir en aide aux populations, l’accès aux droits et aux libertés, la cohésion sociale entre les communautés, la fermeture des camps et la possibilité pour les Rohingyas de rentrer chez eux ou dans les zones de leur choix sont essentiels pour parvenir à des solutions durables. »
Après la naissance de leurs enfants sans soins médicaux ou presque, les femmes qui vivent dans les camps ont encore des raisons de s’inquiéter. En effet, les actes de naissance sont rarement délivrés aux enfants rohingyas. Ce document revêt pourtant une importance capitale car il leur confère une identité légale.
« Cela m’attriste qu’aucun des enfants nés ici n’ait d’acte de naissance. »
Le deuxième enfant de Za Beda, qui est né dans le camp, n’a jamais reçu d’acte de naissance. Son aîné en avait un, mais il a été perdu pendant le chaos de leur déplacement en 2012. « J’ai essayé de nombreuses façons d’en obtenir un nouveau pour lui, mais cela a été impossible », dit-elle.
« Cela m’attriste qu’aucun des enfants nés ici n’ait de certificat de naissance. Sans ce document, personne ne peut s’épanouir et s’affirmer», ajoute Hassinah Begom.
Déterminée à faire son possible pour les aider, elle a consigné avec soin la date de naissance de chaque enfant qu’elle a aidé à mettre au monde. « Mon souhait est que ces registres aident les enfants à obtenir un jour des documents d’identité », explique-t-elle.
Restreindre l’accès des Rohingyas aux documents d’état civil comme les actes de naissance a des conséquences à long terme. En grandissant, les enfants ne sont pas en mesure d’acquérir d’autres documents d’identité importants tels que les cartes d’enregistrement nationales, ce qui remet en cause leur existence sur le plan juridique et administratif. Cette situation compromet leurs perspectives d’avenir, limite leur liberté de mouvement et les enferme dans une spirale de pauvreté et de marginalisation.
« Plus cette situation perdure, plus les communautés rohingyas deviennent vulnérables et marginalisées. Cela réduit encore les perspectives pour ceux qui, au Bangladesh, souhaitent rentrer en toute sécurité », déclare Federico Sersale du HCR.
Ajam Bibi, une jeune fille de 16 ans vivant dans le camp et que Hassinah Begom a aidé à mettre au monde, a dû abandonner l’école à l’âge de 14 ans parce que sa mère ne pouvait pas payer les frais de scolarité. « J’aime étudier. Si j’ai la chance de terminer mes études, je chercherai un emploi dans une agence humanitaire… Pour l’instant, je fais des tâches ménagères et j’aide mes jeunes frères et sœurs à étudier », raconte-t-elle.
Alors que l’enseignement primaire est souvent dispensé gratuitement par les agences humanitaires à l’intérieur des camps, les écoles secondaires publiques sont souvent situées loin des camps et isolées des autres communautés. Les frais de scolarité et les coûts du transport s’ajoutent à la pression financière à laquelle sont confrontées ces familles pauvres, une situation exacerbée par le manque de possibilités d’emploi.
Réfléchissant aux difficultés rencontrées dans sa vie et à celle de ses enfants, Za Beda s’inquiète de l’avenir. « Je me sens triste et malheureuse face à cette situation… Je ne veux pas imaginer ce que sera la vie de mes enfants lorsqu’ils grandiront », confie-t-elle.
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Publie par le HCR, le 25 août 2022.