Des dizaines de milliers de réfugiés sud-soudanais rentrent chez eux pour échapper à la violence au Soudan, mais beaucoup se retrouvent coincés dans des zones frontalières isolées.
Alekiir Kaman Dau Ayuel, 25 ans, est assise sous un arbre avec sa mère, ses tantes et ses frères à l’extérieur d’un centre de transit dans le comté de Renk, dans l’Etat du Haut-Nil au Soudan du Sud. Ils viennent de franchir la frontière du Soudan après avoir fui Khartoum, où les combats se poursuivent.
Alekiir étudiait l’informatique à l’Université internationale d’Afrique à Khartoum et prévoyait de se réorienter vers la biologie lorsque les violences ont éclaté le 15 avril. Terrifiés, elle et sa famille se sont réfugiés dans leur maison alors que les combats faisaient rage dans la rue. Ils entendaient le bruit des coups de feu et des frappes aériennes.
“Beaucoup de gens sont morts, et ils n’ont même pas été enterrés.“
« Beaucoup de gens sont morts, et ils n’ont même pas été enterrés, les corps sont restés dans la rue », raconte-t-elle.
Lors d’une trêve dans les hostilités, ils ont saisi l’occasion et se sont enfuis. Ils sont montés dans un bus, abandonnant tout derrière eux pour se mettre à l’abri au Soudan du Sud, le pays qu’ils avaient fui près d’une décennie plus tôt alors que la guerre civile était à son comble.
« Je pensais que je quitterais Khartoum un jour après avoir terminé l’université et que je chercherais du travail, mais je n’avais pas imaginé qu’il y aurait une guerre », confie Alekiir.
Une zone frontalière sous pression
Quelque 800 000 réfugiés sud-soudanais vivaient au Soudan, mais depuis que la violence a éclaté à Khartoum et s’est rapidement propagée à d’autres régions, près de 46 000 d’entre eux ont regagné le pays qu’ils avaient fui. Un grand nombre d’entre eux sont aujourd’hui bloqués à Renk, où les services disponibles sont extrêmement limités et où les organisations humanitaires se mobilisent afin de renforcer l’aide d’urgence.
Le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, aide à transférer les personnes de la frontière vers le centre de transit qu’il a mis en place avec ses partenaires humanitaires. Là, les nouveaux arrivants reçoivent des biens de première nécessité tels que de la nourriture, de l’eau, des couvertures, des nattes et des seaux, ainsi qu’un traitement médical d’urgence. Le HCR construit actuellement des abris collectifs pour héberger plus de 500 personnes parmi les plus vulnérables, ainsi que des latrines d’urgence.
Mais cette nouvelle crise met à rude épreuve des opérations humanitaires déjà très sollicitées et insuffisamment financées dans un pays qui se remet encore des ravages d’une guerre civile brutale qui a duré sept ans et qui s’est achevée en 2020. Plus de 2,2 millions de personnes sont toujours déplacées à l’intérieur du pays en raison du conflit et des effets du changement climatique, tandis que les trois quarts de la population ont besoin d’une assistance humanitaire. De plus, le Soudan du Sud accueille plus de 300 000 réfugiés venus du Soudan et d’autres pays.
Les organisations humanitaires s’inquiètent des répercussions plus larges du conflit soudanais sur la situation dans les régions situées au nord du Soudan du Sud, qui dépendent du Soudan pour de nombreux produits de base et pour la nourriture. Le conflit affecte les échanges transfrontaliers, fait grimper en flèche les prix du marché et du carburant à Renk et engendre une pénurie d’eau potable en bouteille et d’autres produits de première nécessité.
Des possibilités de transport limitées
Parallèlement, les inondations liées au changement climatique ont dévasté une grande partie de l’infrastructure routière déjà limitée dans le nord du Soudan du Sud. Pour les personnes rapatriées qui espèrent poursuivre leur voyage vers leur région d’origine, les possibilités de transport sont limitées et inabordables pour la plupart d’entre elles.
« Le HCR est présent, et nous aidons à transférer les personnes vers nos centres de transit, mais sans ressources supplémentaires, il sera difficile de les transporter plus loin », explique Lillian Sabasi, responsable de la protection au HCR.
Malual Mayom Deng et sa famille ont dépensé la majeure partie de l’argent dont ils disposaient pour acheter les billets de bus nécessaires pour quitter le Soudan.
« Le billet pour une personne coûtait 35 000 livres soudanaises [58 dollars], et nous sommes huit, donc c’était très cher », affirme-t-il. « Il nous a fallu deux jours pour arriver au Soudan du Sud. »
Ils ont effectué la dernière partie du voyage dans une charrette tirée par un âne, chargée des seules affaires qu’il leur restait.
“Aujourd’hui, nous fuyons à nouveau, cette fois-ci pour rentrer chez nous.“
Comme pour Alekiir, ce n’était pas la première fois qu’ils fuyaient un conflit. « En 2016, nous avons fui le Soudan du Sud en raison de la guerre », explique Malual. « Nous sommes devenus des réfugiés au Soudan. Nous voulions être en sécurité. Aujourd’hui, nous fuyons à nouveau, cette fois-ci pour rentrer chez nous. »
Leur maison se trouve dans le nord de la région de Bahr el Ghazal, à des centaines de kilomètres au sud-ouest. Il est difficile de savoir à ce jour comment ils pourront s’y rendre. Même le simple fait de contacter les membres de la famille restés sur place est un défi en raison de la mauvaise qualité du réseau de téléphonie mobile.
Ceux qui parviennent à retourner dans leur région d’origine se retrouveront probablement au sein de communautés extrêmement fragilisées par le changement climatique, les conflits et l’insécurité alimentaire.
« Le Soudan du Sud était déjà confronté à une crise humanitaire majeure », explique Lilian Sabasi. « Un grand nombre de personnes rentrant chez elles de manière imprévue pourrait déstabiliser les communautés locales qui sont déjà en difficulté et exacerber ainsi la crise. »
Alekiir et sa famille espèrent retourner chez eux à Melut, dans l’État du Haut-Nil, au Soudan du Sud.
« Avant que la violence n’éclate à Khartoum, j’avais beaucoup de projets », confie-t-elle. « Je voulais étudier la biologie pour devenir médecin et pouvoir aider les gens. »
« Aujourd’hui, je ne sais plus », conclut-elle. « Tant que je suis en vie, il me reste une chance, une possibilité de m’en sortir. »
Publie par le HCR, le 15 Mai 2023.