Les médecins diplômés qui travaillent comme caissiers et serveurs veulent que leurs qualifications soient reconnues afin de pouvoir sauver des vies et lutter contre la pandémie.
Par Sarah Schafer
NEW YORK – Quand Lubab al-Quraishi a appris que les autorités du New Jersey permettraient à des travailleurs médicaux formés à l’étranger d’aider la ville à lutter contre la pandémie de Covid-19, elle a rapidement rempli une demande en ligne. Six ans après son arrivée aux États-Unis en tant que réfugiée irakienne, elle espérait enfin pouvoir pratiquer à nouveau la médecine.
Lubab, 47 ans, avait pratiqué la médecine en tant qu’anatomo-pathologiste dans son pays d’origine avant que le travail de son frère pour l’armée américaine ne la force à fuir. Un jour, alors qu’elle se rendait au travail en voiture, une balle a frappé son pare-brise et elle a réalisé qu’elle n’avait d’autre choix que de quitter le pays.
Sans argent ni temps pour étudier en vue des examens médicaux, elle a travaillé comme caissière dans un fast-food au Texas. Finalement, elle a appris qu’il y avait une place pour travailler comme assistante en anatomo-pathologie dans le New Jersey et elle s’y est installée avec son mari et ses deux filles.
Aujourd’hui, Lubab a la possibilité de contribuer en retour à son nouveau pays et de travailler en tant que médecin. Au début de l’épidémie, elle s’est portée volontaire pour administrer des tests de dépistage du virus. Et le mois dernier, elle a reçu sa licence temporaire pour exercer la médecine dans le New Jersey pendant six mois, et peut-être davantage si la crise d’urgence se poursuit.
« Aujourd’hui, vous réalisez qu’il y a des médecins formés à l’étranger ici… et vous reconnaissez que nous pouvons vous aider. »
« Aujourd’hui, vous réalisez qu’il y a des médecins formés à l’étranger ici… et vous reconnaissez que nous pouvons vous aider », a-t-elle pensé lorsque le gouverneur a annoncé les mesures d’urgence.
Alors que la pandémie continue de se propager et de faire des victimes dans le monde entier, New York est l’un des six États américains à faciliter l’accès des réfugiés, des immigrants et des migrants formés à l’étranger à la pratique de la médecine – au moins pendant la crise – tout en accélérant ou en assouplissant les conditions de résidence et de permis d’exercer.
« Nous faisons maintenant pression pour que les progrès soient permanents », a déclaré Esther Benjamin, PDG et directrice exécutive de World Education Services, une organisation à but non lucratif de New York qui aide les étudiants internationaux et les immigrants à mettre leur formation et leurs compétences à profit aux États-Unis et au Canada.
Face aux pénuries potentielles de personnel médical, plusieurs pays dans le monde ont mis en œuvre des mesures similaires.
Parmi eux figurent le Pérou, le Chili et l’Argentine qui ont récemment commencé à autoriser des médecins, des infirmières et d’autres personnes ayant une formation médicale à travailler dans le cadre des efforts de prévention et de lutte contre la pandémie de Covid-19.
Au Mexique, le HCR travaille avec le gouvernement pour aider à accélérer le permis d’exercer pour que les infirmières, les médecins et d’autres travailleurs médicaux formés à l’étranger puissent rejoindre les équipes de travailleurs d’urgence du pays. Le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, a identifié une centaine de professionnels de la santé réfugiés et travaille actuellement avec le ministère de l’éducation pour accélérer la revalidation de leur diplôme.
En Colombie, le gouvernement autorise les Vénézuéliens qui ont des titres médicaux validés à travailler comme médecins et infirmiers. Le ministère de la santé travaille actuellement avec l’Association des professionnels de la santé pour recruter davantage de travailleurs de la santé dans le système de santé national.
Albert Cova, 34 ans, un médecin qui a fui la crise politique, sociale et économique au Venezuela il y a quatre ans, travaille désormais dans la ville frontalière colombienne de Cúcuta, au sein de la zone d’isolement contre la Covid-19 dans un hôpital local construit en partie avec l’aide du HCR.
L’une des parties les plus difficiles de son travail, dit-il, est de communiquer avec les enfants qu’il traite, avec l’équipement de protection qu’il doit porter pour se protéger de la contagion.
« J’essaie de faire en sorte que les enfants restent calmes », a-t-il dit, ajoutant qu’il doit aussi se calmer lui-même. « Cela me fait paniquer de penser que je pourrais être infecté et transmettre [le virus] à ma famille. Mais quand on décide de devenir médecin, il faut faire face à ces situations. »
Les réfugiés et les immigrants diplômés de médecine représentent un vaste réservoir de talents inexploités dans de nombreux pays où les procédures et réglementations de revalidation sont longues ou coûteuses. Beaucoup de ceux qui arrivent dans un nouveau pays doivent trouver du travail immédiatement pour survivre et n’ont pas les moyens de recommencer leurs études et leur formation. Certains essaient mais ne parviennent pas à décrocher l’internat – qui est exigé par tous les États des États-Unis – ou une formation clinique.
Il en résulte que des centaines de milliers de professionnels médicaux qualifiés dans le monde entier occupent des emplois qui n’ont rien à voir avec leur formation – souvent des emplois de bas niveau qui exigent à peine plus qu’un diplôme d’études secondaires. Rien qu’aux États-Unis, pas moins de 263 000 immigrants et réfugiés titulaires de diplômes liés à la santé sont au chômage ou sous-employés, selon le think tank Migration Policy Institute.
« Une question de dignité se pose quand… vous êtes dans l’incapacité d’utiliser l’expertise pour laquelle vous avez été formé. »
« Une question de dignité se pose lorsque vous êtes forcé de travailler dans des espaces pour lesquels vous n’avez pas été préparé, dans des emplois pour lesquels vous êtes surqualifié, et lorsque vous êtes dans l’incapacité d’utiliser l’expertise pour laquelle vous avez été formé », a déclaré Nili Sarit Yossinger, directrice nationale du Refugee Congress, une organisation de défense des droits à Washington DC. « Il est difficile de sentir que vous faites partie de la communauté, il est difficile de sentir que vous avez vraiment réussi. »
Hussam Nash, un médecin irakien, s’est installé aux États-Unis en 2007 après avoir fui les persécutions et la violence. Il espérait pratiquer la médecine dès son arrivée, mais tout ce il a trouvé était un emploi au smic dans une salle de jeux vidéo à San Diego, en Californie.
Hussam a finalement réussi l’examen d’autorisation d’exercer la médecine aux États-Unis, mais il a ensuite lutté pour être accepté dans un internat. De nombreux hôpitaux ne voulaient que des diplômés récents de l’école de médecine, et Hussam ne pouvait pas faire appel à un réseau de pairs ou de mentors pour le recommander pour des postes dans les hôpitaux disposés à examiner sa candidature.
« A l’apparition de la pandémie de Covid-19, honnêtement, je me suis senti triste chaque jour de ne pas pouvoir pratiquer la médecine. »
Lorsqu’il a obtenu des entretiens, il a eu l’impression que c’était simplement par courtoisie. Enfin, en 2018, Hussam a obtenu un master en santé publique. Il travaille aujourd’hui pour le programme gouvernemental spécial de nutrition complémentaire pour les femmes, les nourrissons et les enfants en tant que responsable administratif de la nutrition à Philadelphie – un rôle qui ne s’appuie pas sur ses longues années de formation médicale. Depuis le début de la pandémie, il a ressenti le besoin de contribuer davantage.
« A l’apparition de la pandémie de Covid-19, honnêtement, je me sentais triste chaque jour de ne pas pouvoir pratiquer la médecine », a-t-il déclaré. « Nous avons une belle vie, mais comme une passion, comme un rêve, ce n’est pas ce que nous recherchions. »
Avant la pandémie de Covid-19, de nombreux pays étaient déjà confrontés à des pénuries de personnel de santé. Selon l’Association of American Medical Colleges, les États-Unis devraient manquer de 122 000 médecins d’ici 2032 – et ce n’est pas le seuls pays dans ce cas.
Le Pérou est confronté à une pénurie de professionnels de la santé depuis plusieurs années, selon la Fédération médicale péruvienne. Il est long et coûteux de valider une licence médicale étrangère.
- Voir aussi : En France, des réfugiés ayant une expérience médicale veulent se joindre à la lutte contre la crise de Covid-19
Carmen Parra, 35 ans, médecin ayant exercé à San Juan de los Morros, dans le centre du Venezuela, est arrivée au Pérou après avoir fui la violence dans son pays d’origine il y a deux ans. Elle a travaillé comme serveuse et dans la vente au détail avant de décrocher un emploi qui se rapprochait le plus possible de l’exercice de sa profession : réceptionniste dans une clinique médicale.
« Je n’avais pas d’argent pour me permettre autre chose que l’essentiel pour ma famille », a déclaré Carmen.
Sa vie a changé lorsqu’une organisation travaillant pour aider les médecins vénézuéliens à valider leur licence l’a aidée à entrer dans un programme pilote soutenu par le HCR. En quelques mois, elle a validé ses titres de compétences et est retournée à la clinique médicale – cette fois-ci pour y travailler comme médecin.
Lorsque la clinique a fermé à cause de la pandémie, elle a fait une demande pour aider le pays à répondre à la crise de Covid-19. Elle travaille maintenant quatre jours par semaine dans une ambulance pour se rendre auprès de personnes suspectées d’infection et pour transporter les malades graves vers les hôpitaux.
Les pays du monde entier ont mis en place des procédures d’autorisation pour assurer la sécurité des personnes. Il existe des moyens de garantir la qualité tout en permettant aux réfugiés d’apporter leur contribution. Le HCR a soutenu plusieurs approches innovantes pour permettre aux médecins de travailler dans les domaines qu’ils ont choisis en les mettant sur la voie d’une éventuelle licence ou certification.
Le Conseil de l’Europe et le HCR ont recommandé le mois dernier aux États d’utiliser le Passeport européen de qualification pour les réfugiés, qui permet de présenter et de valider les qualifications acquises à l’étranger, afin de donner à davantage de professionnels de la santé réfugiés un moyen de participer à la prévention et à la lutte contre la pandémie de Covid-19. Et l’Europe a vu plusieurs pays permettre à des réfugiés et des migrants travailleurs de santé à contribuer en retour grâce à leurs compétences.
L’Irlande, la France et le Royaume-Uni envisagent des mesures qui faciliteraient le recrutement de médecins réfugiés et migrants pour aider à lutter contre le coronavirus.
« Nous nous concentrons sur la façon de faire suivre aux personnes formées à l’étranger un parcours qui leur a ouvert des portes. »
En France, le gouvernement a autorisé les médecins formés à l’étranger à travailler, mais uniquement sous contrôle ou dans les territoires français d’outre-mer. En Allemagne, dans la région de Saxe, les fonctionnaires envisagent des mesures qui leur permettraient de servir en soutien à la formation des médecins étrangers.
Dans de nombreux pays, il est difficile de surmonter l’idée reçue selon laquelle les diplômes obtenus à l’étranger ne sont pas de bon niveau. Mais les défenseurs des réfugiés et des immigrants affirment qu’il est possible de maintenir des normes élevées tout en réduisant la bureaucratie inutile et coûteuse.
La pandémie a conduit certains gouvernements à supprimer des obstacles inutiles. Et ils espèrent aujourd’hui que les pays soutiendront les réfugiés et les immigrés ayant suivi une formation à l’étranger qui leur contribuent en retour tout en risquant leur vie – même après la fin de cette crise d’urgence.
« Pendant cette pandémie de Covid, nous nous concentrons sur la manière de faire suivre aux personnes formées à l’étranger un parcours qui ne sacrifie pas la qualité mais qui fait gagner du temps », a déclaré Jina Krause-Vilmar, présidente et directrice générale d’Upwardly Global, une organisation américaine à but non lucratif qui propose des programmes d’accompagnement professionnel, de mise en réseau et de renforcement des compétences pour les réfugiés et les migrants. « Cela a ouvert des portes ».
Avec les reportages additionnels de Regina De La Portilla au Pérou, de Fernando Hernandez Parada en Colombie et de l’association USA for UNHCR
Publie par le HCR, le 18 mai 2020