Tareq Hadhad, au centre, partage un moment de convivialité avec sa famille en préparant un dessert appelé Nid de rossignol (ÔIsh El Bulbul) dans leur maison à Antigonish.

Tareq Hadhad, au centre, partage un moment de convivialité avec sa famille en préparant un dessert appelé Nid de rossignol (ÔIsh El Bulbul) dans leur maison à Antigonish (N.-É.). © UNHCR/Darren Calabrese

De Tareq Hadhad et Jon Tattrie, tel que raconté à Lauren La Rose


Tareq Hadhad a terminé l’année comme il l’avait commencée: en célébrant deux jalons importants dans sa nouvelle vie au Canada.


La semaine qui a précédé Noël a marqué sa cinquième année au Canada après son arrivée en tant que réfugié syrien et son installation dans la petite ville d’Antigonish, dans le nord-est de la Nouvelle-Écosse. Onze mois plus tôt, le fondateur de Peace by Chocolate est devenu citoyen canadien.

Entre ces deux moments mémorables, Tareq a connu un autre événement marquant : celui de voir son parcours extraordinaire raconté dans le livre « Peace by Chocolate » (Éditions Goose Lane) (livre en anglais) qui retrace son parcours de réfugié fuyant la Syrie avec sa famille jusqu’à sa réussite en tant qu’entrepreneur au Canada.

« Lorsque nous sommes arrivés au Canada il y a quelques années, nous avions un rêve et une mission : le rêve de reconstruire nos vies et la mission de partager notre histoire faite d’espoir et de résilience », explique Tareq, qui a lancé son entreprise à partir de sa cuisine à Antigonish en 2016. Dans le passé, la famille Hadhad était à la tête d’une chocolaterie qui a fonctionné pendant plus de 30 ans au Moyen-Orient.

Journaliste de la CBC et auteur vivant à Halifax, Jon Tattrie a suivi le parcours de la famille Hadhad depuis le début. Carolyn Ray, sa collègue de CBC Nouvelle-Écosse, a documenté la vie de la famille pendant sa première année au Canada.

« Je savais que derrière les informations que nous partagions aux nouvelles se cachait une histoire extraordinaire : l’histoire de l’arrivée de la famille Hadhad au Canada. Je savais que les habitants d’Antigonish seraient en mesure de montrer au monde comment et pourquoi nous devons accueillir les nouveaux arrivants », explique Jon.

Les innombrables heures passées à parler avec tous les membres de la famille, avec les habitants et avec « tous ceux qui ont joué un rôle important dans leur parcours » ont servi de base à l’écriture du livre. Tareq et Jon reviennent sur cette expérience en se souvenant notamment de la générosité dont les résidents ont fait preuve en accueillant les Hadhad.

Tareq, comment s’est déroulée votre collaboration avec Jon lorsqu’il a commencé à se documenter sur votre histoire?

Cela a ranimé nos souvenirs des 40 dernières années avec les hauts et les bas, les défis et les différentes étapes que nous avons connus en Syrie. Jon nous a posé des questions très précises en cherchant à connaître les moindres détails sur ma famille, les circonstances ainsi que l’environnement entourant les situations que nous avons vécues. Nous lui avons parlé de la création de notre chocolaterie en Syrie, du début de la guerre, des raisons de notre départ, de notre vie au Liban puis au Canada.

Comment vous êtes-vous sentis lorsque vous avez dû vous remémorer les moments plus difficiles que vous avez rencontrés avec votre famille, comme le fait d’avoir dû fuir la Syrie pour vous mettre en sécurité au Liban?

Cela nous a rappelés que la guerre en Syrie nous a façonnés et nous a permis de mieux comprendre ce qu’est la souffrance et de nous battre car nous l’avons vécu.

Cela nous a également rappelés que, même si nous sommes maintenant en sécurité, des millions d’autres personnes dans le monde sont encore à la recherche d’un endroit sûr où s’établir.

Cela a été très enrichissant de comparer ce que nous avons vécu auparavant avec la manière dont nous vivions au moment des entrevues. Le temps guérit bien des maux. Et c’est avec gratitude et en acceptant les choses que nous nous sommes souvenus de chaque histoire, de chaque rire et de chaque larme.

La réussite de Peace by Chocolate a fait l’objet d’une large couverture médiatique. Jon, dans l’histoire de la famille Hadhad, qu’est-ce qui vous a paru le plus important de documenter et de raconter aux lecteurs?

C’est l’histoire des femmes. Tareq et son père, Isam, sont devenus les ambassadeurs de Peace by Chocolate, mais Shahnaz, Alaa et Batoul en sont les moteurs. Shahnaz, la mère, s’est vraiment investie et a voulu concrétiser le rêve de sa famille après les événements de Damas. C’est elle qui a eu l’idée de s’installer au Canada et d’y lancer une chocolaterie. Alaa, la sœur aînée au Canada, a eu un parcours difficile et héroïque en s’échappant de la Syrie avec ses deux très jeunes enfants, puis en cherchant refuge au Liban, avant de trouver la sécurité en Nouvelle-Écosse. Son histoire suscite l’admiration. Quant à Batoul, elle a quitté son pays natal alors qu’elle était encore adolescente et a donc perdu tout son entourage social. Elle est devenue la première de la famille Hadhad à obtenir un diplôme d’études secondaires au Canada et est maintenant une jeune femme mariée avec un avenir prometteur devant elle.

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Tareq, cela a été incroyablement émouvant de voir le rôle qu’ont joué les Canadiens non seulement en parrainant votre famille, mais aussi en apportant leur aide pour le lancement de votre entreprise. Pouvez-vous nous dire ce que cela vous fait de faire partie des résidents d’Antigonish et partager cet aspect de votre histoire avec les lecteurs?

Antigonish est une jolie petite ville qui s’est portée volontaire pour parrainer notre famille, et bien d’autres familles, sans même nous connaître. Les résidents ont fait tout leur possible pour nous offrir de la chaleur humaine dans ce pays très froid et ont contribué à faciliter et à agrémenter notre transition d’une grande ville comme Damas à cette charmante petite ville. Toutes les personnes influentes de la ville qui se sont portées volontaires pour parrainer notre famille ont créé des comités pour nous aider dans des domaines comme l’intégration, l’éducation, le logement, le transport et bien plus encore. Ils nous ont appris que l’on peut être à la fois un « être humain » et aussi « humain »! Tout cela nous a aidés à nous sentir chez nous et nous a ouvert la voie pour commencer à reconstruire ce que nous avions perdu. Dans le livre, Jon a capturé tous les moments réconfortants que j’ai connus au Canada, ainsi que les moments déchirants avant que j’arrive ici. Dès le moment où j’ai posé le pied sur le sol canadien, je me suis vu traité comme un citoyen. J’ai été accueilli dans mon nouveau pays avec plus de bienveillance et de chaleur que je n’aurais pu imaginer. J’ai eu le sentiment d’être à ma place.

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Le mercredi 15 janvier 2020, Tareq Hadhad, un réfugié syrien et le fondateur de Peace by Chocolate, prend la pose avec le drapeau canadien avant sa cérémonie de citoyenneté canadienne au Quai 21 à Halifax (N.-É.). © UNHCR/Darren Calabrese
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Jon Tattrie from CBC. Giselle Melanson Tattrie
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Taghrid Hadhad, la deuxième à partir de la droite, fait chauffer une poêle pour préparer un dessert appelé Nid de rossignol (ÔIsh El Bulbul) en suivant les conseils de son père Isam Hadhad, à droite, tandis que sa sœur Sana Alkadri, à gauche, et son frère Tareq Hadhad la regardent chez eux à Antigonish. © UNHCR/Darren Calabrese
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Le mercredi 15 janvier 2020, Tareq Hadhad, un réfugié syrien et le fondateur de Peace by Chocolate, agite un drapeau canadien avec 48 autres nouveaux Canadiens pendant sa cérémonie de citoyenneté canadienne au Quai 21 à Halifax. © UNHCR/Darren Calabrese
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Tareq Hadhad lors de sa cérémonie de citoyenneté. © UNHCR/Darren Calabrese
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Le mercredi 15 janvier 2020, Tareq Hadhad, au centre, un réfugié syrien et le fondateur de Peace by Chocolate, prend la pose avec sa famille avant sa cérémonie de citoyenneté canadienne au Quai 21 à Halifax. © UNHCR/Darren Calabrese
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Tareq, au centre, avec sa sœur Taghrid, la deuxième à partir de la droite, prépare un dessert appelé Nid de rossignol (ÔIsh El Bulbul) avec son père Isam, à gauche, et ses frères, Omar Alkadri, deuxième à partir de la gauche, et Ahmad chez eux à Antigonish. © UNHCR/Darren Calabrese
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Tareq Hadhad, au centre, un réfugié syrien et le fondateur de Peace by Chocolate, rit avec Michael Casasola, à gauche, Responsable du HCR au Canada, et Marco Mendicino, Ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada, après la cérémonie de citoyenneté canadienne de Tareq qui a eu lieu au Quai 21 à Halifax, le mercredi 15 janvier 2020. © UNHCR/Darren Calabrese
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Peace by Chocolate : The Hadhad Family's Remarkable Journey to Canada (couverture) © Éditions Goose Lane

 

Jon, y a-t-il un passage en particulier dans le livre ou une expérience que Tareq vous a relatée dans l’histoire de sa famille qui vous a touché personnellement? Si oui, de quoi s’agissait-il et pourquoi?

J’adore l’histoire de son premier Noël au Canada. Tareq est arrivé en 2015 quelques jours avant Noël. Le groupe qui a parrainé sa famille au Canada, appelé Syrian-Antigonish Families Embrace (SAFE), avait invité Tareq à partager les fêtes de Noël avec une famille de la ville. Il a filmé en direct cette expérience pour montrer à sa mère qu’il était en sécurité et que les gens l’avaient accueilli à bras ouvert, lui, un étranger.

J’ai interrogé Robert et Moira Sers, la famille qui l’avait accueilli, qui m’ont raconté ce moment. Il s’agissait d’un Noël typique, semblable au Noël que je célèbre avec ma propre famille. Toutefois, à travers le regard de Tareq, il m’est apparu de manière tout à fait unique. Ce Noël ordinaire est devenu extraordinaire.

Jon, depuis deux ans, le Canada est devenu le chef de file mondial en matière de réinstallation des réfugiés, une caractéristique illustrée par la générosité de ces Néo-Écossais qui ont parrainé la famille Hadhad. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet aspect de leur histoire.

Pendant que j’écrivais ce livre, j’ai accompagné l’équipe SAFE à l’aéroport pour accueillir une nouvelle famille syrienne. J’ai demandé à Lucille Harper, la fondatrice de SAFE, ce qu’elle ressentait à l’idée d’avoir aidé plus de personnes à se mettre en sécurité. « C’était un geste humain », m’a-t-elle dit. Elle a presque haussé les épaules. Comme si les résidents d’Antigonish ne voyaient rien de remarquable à ce qu’ils faisaient. Des gens avaient besoin d’aide, alors ils les ont aidés. Ils m’ont parlé de cette histoire comme si la voiture des Hadhad était restée bloquée dans la neige et qu’ils étaient simplement venus la déneiger. Comme s’il s’agissait d’un geste à la portée de tous!

Ce que j’ai appris également, c’est que cela fait du bien de faire le bien. De nombreux résidents d’Antigonish qui se sont portés volontaires voulaient simplement faire quelque chose pour aider les nouveaux arrivants. Et en fin de compte, ce sont eux qui ont vécu l’une des plus belles expériences de leur vie.

Et c’est aussi mon cas. J’ai commencé à écrire le livre en pensant que cela pourrait être une manière d’aider la famille Hadhad, et en fin de compte, cette expérience m’a permis de voir ma vie avec un tout autre regard.

Tareq, vous et votre famille avez surmonté de nombreux obstacles pour vous mettre en sécurité, jusqu’à votre réussite en tant qu’entrepreneur au Canada. Pourtant, vous avez fait preuve d’une incroyable détermination tout au long de votre parcours. Qu’est-ce qui vous a poussé et motivé à rester aussi optimiste face à tant de difficultés?

Chacun des membres de ma famille croit au principe que ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Notre résilience vient du fait que nous avons surmonté beaucoup de choses ces 10 dernières années. Nous avons réalisé que le bonheur, la réussite et le sentiment d’accomplissement arrivent toujours lorsque nous dépassons nos peurs. Quoi qu’il arrive, nous aurons tous tôt ou tard des défis à relever dans notre vie. Toutefois, nous avons tous deux possibilités : ne rien faire et nous plaindre, ou nous retrousser les manches pour trouver des solutions. La vie est faite à la fois de confort, d’inspiration, de persévérance, d’honnêteté et d’empathie. On finit toujours par voir la lumière au bout du tunnel.

Qu’aimeriez-vous que les lecteurs retiennent après avoir lu l’histoire de la famille Hadhad et de Peace by Chocolate?

Jon : L’émotion. Mon but avec ce livre n’est pas d’offrir davantage d’informations aux lecteurs, mais plutôt de faire en sorte qu’ils en ressentent toutes les émotions. Je décris chaque membre de la famille pour qu’ils puissent se mettre à leur place. Ils ressentiront l’horreur de perdre leur maison, leur entreprise, leurs amis et leur famille, et d’être obligés de prendre la fuite. Ils ressentiront le sentiment d’enfermement et de dépression que ressentent les réfugiés. Et ils ressentiront la joie – et le sentiment de paix – que procure l’espoir de commencer une nouvelle vie.

Et ils ressentiront aussi le plaisir du chocolat qui fond dans la bouche et qui vient égayer tout votre être.

Tareq : Personne ne choisit d’immigrer de son pays et de devenir réfugié. Ce n’est ni une décision ni un choix. La paix est le bien le plus précieux au monde. C’est pourquoi nous devrions tous nous battre pour la défendre, car sans la paix, nous ne pouvons pas aller travailler, nous ne pouvons pas aller à l’école, nous ne pouvons pas créer d’entreprises et nous ne pouvons rien avoir! J’espère aussi que notre histoire inspirera d’autres personnes et les réconfortera pendant les épisodes les plus difficiles de leur vie. Ce que vous vivez aujourd’hui ne détermine pas ce que l’avenir vous réserve. La détermination, la résilience, la paix, l’équité, la gentillesse et la liberté peuvent vous aider à vous reconstruire et écrire la suite de votre histoire. Souvenez-vous que, lorsque la vie vous jette des briques, utilisez-les pour construire la base solide de votre vie pour éviter que ces briques ne vous fassent du mal plus tard.

NB : Ces entrevues ont été modifiées et condensées.

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