Le lac Mahmouda, source vitale d’eau et de nourriture pour les réfugiés et les communautés locales en Mauritanie est menacé par un climat de plus en plus hostile qui entraîne son rétrécissement.
Par Catherine Wachiaya à Beribavatt, Mauritanie
Yahya Koronio Kona mène solennellement sa pirogue à travers les vastes étendues de jacinthes d’eau qui recouvrent la surface du lac Mahmouda, dans le sud de la Mauritanie. Lorsqu’il accoste, le pêcheur malien regarde avec déception sa prise du jour : une vingtaine de poissons de vase qui se tortillent au fond de sa pirogue.
« J’ai attendu deux jours et c’est tout ce que j’ai eu. C’est à peine suffisant pour être vendu au marché », se plaint l’homme âgé de 42 ans en tâtant le poisson.
Bien qu’il ait espéré davantage, il n’est pas surpris par cette maigre prise. Il en attribue la responsabilité au retard des pluies et aux températures de plus en plus élevées, qui atteignent régulièrement 50°C.
Yahya a ressenti pour la première fois les effets du changement climatique sur ses moyens de subsistance en 2013, après que le lac Faguibine au Mali, le plus proche de sa ville natale de Goundam, se soit définitivement asséché après avoir commencé à s’évaporer dans les années 1970 en raison de périodes de sécheresse prolongées. Il déménage alors dans une autre ville. Des tensions apparaissent entre les communautés locales et les nouveaux arrivants suite à une augmentation de la demande, des ressources limitées et une détérioration rapide de l’environnement qui devient insoutenable.
« Je crains que le lac ne s’assèche bientôt. Je ne sais pas ce que nous ferons ».
Les attaques armées et le manque de protection dans la région l’ont obligé à se déplacer plus au sud, mais la situation y était trop volatile. Il traverse finalement la frontière pour se rendre en Mauritanie en 2019 et s’installe au bord du lac.
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« La pêche est le seul métier que je connaisse. C’est ce qu’on m’a appris depuis que je suis un jeune garçon », indique ce père de quatre enfants.
Des milliers de Maliens ont abandonné leurs terres et leurs maisons à cause de l’assèchement de lacs tels que Faguibine, Kamangou ou Gouber, ce qui les empêche de cultiver, de pêcher ou d’élever du bétail. En raison de l’insécurité persistante dans le pays et dans la région du Sahel, des milliers de Maliens ont traversé la frontière vers la Mauritanie et d’autres pays voisins, dont le Niger et le Burkina Faso.
Alors que Yahya espérait de meilleures conditions du côté mauritanien, il est aujourd’hui confronté à une situation similaire et inquiétante : le lac Mahmouda s’assèche et rétrécit régulièrement en raison d’un climat de plus en plus difficile.
Le désert du Sahara couvre environ 90% du territoire mauritanien, ce qui le rend particulièrement vulnérable aux effets de la désertification causée par de longues périodes de sécheresse et une raréfaction des précipitations. Cette année, la saison des pluies, qui démarre en règle générale en juin et se poursuit jusqu’en septembre, n’a apporté que très peu de précipitations.
« Je crains que le lac ne s’assèche s’il ne pleut pas bientôt. Je ne sais pas ce que nous allons faire », s’inquiète Yahya.
Ses compatriotes maliens – environ 1 200 vivent au bord du lac – s’accordent sur le fait que les choses ne feront qu’empirer à mesure que leurs compatriotes arrivent et que la pression augmente sur des ressources déjà rares, qu’ils partagent avec les communautés mauritaniennes, pour la plupart nomades, qui gardent de grands troupeaux de bétail près du lac.
Yahafzou Ould Haiballa, 57 ans, éleveur mauritanien du village voisin de Suleyman, passe souvent par le village des pêcheurs lorsqu’il emmène son bétail au pâturage et s’abreuver au lac. Né et élevé ici, il a vu la population augmenter, surtout depuis 2015, à l’arrivée du premier groupe de pêcheurs maliens.
« J’ai vécu ici toute ma vie et je n’ai jamais connu une situation aussi catastrophique », confie-t-il.
Il précise que la communauté locale entretient des relations cordiales avec les Maliens qui sont arrivés et se sont progressivement installés sur les rives du lac au fil des ans.
« Nous vivons avec les Maliens depuis longtemps et sommes devenus comme des frères », poursuit-il. « Je n’ai pas l’habitude de manger du poisson parce que ce n’est pas notre culture, mais j’ai essayé depuis ».
Comme Yahya, Yahafzou s’inquiète du changement climatique.
« Les choses vont empirer et ce lac pourrait disparaître si les pluies ne viennent pas », s’inquiète-t-il également.
Alors que la crise climatique s’aggrave et que de plus en plus de Maliens rejoignent la Mauritanie, il est essentiel de sécuriser leurs moyens de subsistance pour leur bien-être et leur maintien dans le pays de manière digne et durable.
« Le temps presse et nous devons agir maintenant ».
Le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, travaille avec les autorités locales pour apporter des réponses à leurs difficultés et à celles de leurs hôtes. Elle prévoit de débuter le recensement des nouveaux arrivants maliens dans cette zone et de faciliter l’accès aux services de base, tels que la santé, l’éducation et la protection des plus vulnérables, dont un grand nombre de femmes et d’enfants.
Environ 80% des personnes déplacées dans le monde sont originaires de pays situés en première ligne de l’urgence climatique. Alors que la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP26) débute à Glasgow, le HCR prévient que dans des pays comme la Mauritanie et dans le monde entier, le coût humain de la crise climatique se fait déjà sentir, entraînant des déplacements et rendant la vie plus difficile à ceux qui sont déjà contraints de fuir.
Avant la COP26, le conseiller spécial du HCR pour l’action climatique, Andrew Harper, s’est rendu en Mauritanie et a visité le lac Mahmouda et le camp de réfugiés de Mbera, situé à environ 60 kilomètres de la frontière avec le Mali.
Au cours de sa visite, des réfugiés, des Mauritaniens et des autorités locales lui ont expliqué comment le changement climatique a transformé cette région, plongeant des communautés déjà vulnérables dans la pauvreté et l’insécurité alimentaire.
« Les personnes qui vivent autour du lac ont non seulement fui les conflits dans leur pays, mais aussi un climat dont l’impact est de plus en plus hostile, où les lacs dans lesquels ils avaient l’habitude de pêcher ont maintenant disparu », a rappelé Andrew Harper. « Ils savent mieux que quiconque que le temps presse, et que nous devons agir maintenant ».
Le conseiller spécial pour l’action climatique du HCR a appelé les dirigeants mondiaux à aider les communautés et les gouvernements confrontés aux conséquences les plus graves du changement climatique, sous peine de voir se multiplier les conflits et les déplacements liés au climat. Il a également rappelé que les communautés et les États les plus affectés sont ceux qui ont le moins contribué à la crise et qui ont le moins de capacité d’adaptation.
« J’exhorte les États les plus développés à trouver des solutions et des fonds indispensables pour les gouvernements et les communautés injustement touchés par la crise climatique », a-t-il déclaré. « Nous devons également investir dans la paix et ne pas attendre qu’un conflit éclate ».
Andrew Harper a également appelé à des efforts concertés pour faire progresser rapidement la Grande Muraille Verte – une initiative de reboisement qui vise à faire pousser une barrière de 8 000 kilomètres de long pour lutter contre la dégradation de l’environnement et la sécheresse dans le Sahel – qui passera également par la région du lac Mahmouda.
« Ce projet doit être mis en œuvre maintenant, il n’y a pas de temps à perdre », a-t-il déclaré. « Nous devons renforcer les capacités dans les ministères respectifs et nous engager avec les communautés dans lesquelles la grande muraille verte passera. »
« Tant que nous avons la paix et de la nourriture, nous sommes heureux ».
« Augmenter les investissements dans des secteurs tels que les pépinières et l’utilisation d’énergies renouvelables permettra aux populations qui tirent actuellement des revenus de la destruction de la fragile couverture forestière de prétendre à un avenir plus digne et durable grâce aux investissements dans la préservation des environnements fragiles qui sont menacés », souligne également Andrew Harper.
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Pendant un instant, le petit village de pêcheurs de Yahya s’anime alors que les caisses de poissons de la journée sont chargées dans un petit camion qui se rendra sur les marchés locaux et éventuellement au-delà de la frontière malienne. Le produit de la vente sera une source de revenus à court terme pour les villageois.
Yahya est nostalgique de la vie qu’il menait chez lui avant la sécheresse, où il disposait d’un revenu régulier grâce à la pêche, à sa petite ferme et surtout grâce à la paix.
Pour l’instant, il veut simplement se concentrer sur la construction d’un avenir plus sûr.
« Je prie pour qu’il pleuve bientôt afin que nous puissions continuer à pêcher et à prendre soin de nos familles », indique-t-il. « Tant que nous avons la paix et de la nourriture, nous sommes heureux ».
Publié par la HCR, le 30 octobre 2021