Texte de Kathryn Mahoney
Photos de Sylvain Cherkaoui
Au Burkina Faso, presque aucune localité n’est sûre.
Des groupes armés, des extrémistes et des bandes criminelles sèment la terreur au quotidien, assassinant ceux qui refusent de rejoindre leurs rangs. Les tueurs abattent des familles. Ils violent et torturent les femmes. Ils détruisent tout ce qui symbolise l’État : les écoles, les commissariats de police, et même les hôpitaux.
Ceux qui survivent à une attaque savent qu’ils n’auront peut-être pas autant de chance la prochaine fois. Alors ils fuient en hâte. Au cours des 15 derniers mois, 800 000 Burkinabés ont fui leur maison pour se mettre à l’abri. Certains se rendent au Mali ou au Niger, où les conditions de vie sont également dangereuses. D’autres cherchent un abri au Burkina Faso. Mais au fur et à mesure que la violence s’étend, beaucoup fuient pour la deuxième ou la troisième fois.
La vie quotidienne au Burkina Faso, un pays enclavé de 19 millions d’habitants, est précaire. Faites la connaissance de six personnes – photographiées et interviewées début février 2020 – dont la vie a été bouleversée par la crise.
La violence au Sahel – une ceinture aride qui s’étend sur des milliers de kilomètres à l’extrême sud du Sahara – a éclaté après la révolution de 2011 en Libye et un soulèvement au Mali en 2012. Des hommes armés ont franchi les frontières, exploitant les tensions ethniques, la pauvreté et la faible gouvernance pour terroriser les populations locales. Lorsque l’effusion de sang a atteint le Burkina Faso, il y a environ quatre ans, elle a mis fin à la paix que le pays connaissait depuis longtemps.
Pendant des années, les personnes ayant fui les conflits au Mali voisin ont trouvé refuge au Burkina Faso, et quelque 25 000 réfugiés vivaient dans des camps à travers le pays. Beaucoup de ces camps ont été attaqués plus d’une fois et la menace de violence rend presque impossible l’accès des travailleurs humanitaires du HCR, de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et d’autres organisations auprès de certains de ces réfugiés. Il est également devenu trop dangereux de maintenir les marchés et les écoles ouverts. Les emplois disparaissent.
Les réfugiés sont confrontés à un choix cornélien : rester et risquer d’être attaqués, ou rentrer chez eux dans un pays encore en proie à la tourmente. Certains retournent au Mali, même dans des régions dangereuses au point que les humanitaires et les forces de défense nationale ne peuvent pas y entrer.
Aujourd’hui, les Burkinabés accueillent leurs propres compatriotes. Mais les communautés sont au point de rupture. Déjà aux prises avec la pauvreté, l’échec scolaire et un système de santé fragile, elles sont maintenant confrontées à une menace supplémentaire : le nouveau coronavirus.
Pour ralentir la pandémie, les frontières ont été fermées, ainsi que les écoles, les marchés, les cinémas et tous les lieux habituellement bondés. Un couvre-feu est imposé de 19 heures à 5 heures, les transports dans le pays sont suspendus, la circulation est limitée à destination et en provenance des villes où des cas de Covid-19 ont été confirmés et les rassemblements de plus de 50 personnes sont interdits.
Déplacement interne au Sahel
838,548 Déplacés internes au Burkina Faso
218,536 Déplacés internes au Mali
226,700 Déplacés internes au Niger
La rescapée
« Je suis traumatisée au point que je ne me souviens même pas de ce qui s’est passé. Je ne sais pas ce que je dis. »
– Hawa, 57 ans
Hawa était chez elle à Boukouma quand son neveu a alerté la famille sur le fait que des hommes armés approchaient. En quelques secondes, plus d’une vingtaine d’hommes à moto ont fait irruption dans un grand vacarme et ont commencé à tirer, alors qu’elle et d’autres femmes se cachaient à l’intérieur. « Ils ont tué mon mari et son frère, alors qu’ils avaient les mains en l’air », a-t-elle déclaré.
Hawa a enterré les morts le jour suivant, puis elle s’est enfuie avec 32 membres de sa famille. Elle a aujourd’hui trouvé une sécurité relative dans la maison de son fils à Kaya, à 150 kilomètres au sud. Mais elle fait des cauchemars, et se réveille chaque nuit en criant, des coups de feu fantômes résonnant dans ses oreilles. « Je suis une veuve de ce conflit », dit-elle.
« Rien ne m’aurait pu me préparer à ce que j’ai vu au Burkina Faso… J’ai été particulièrement frappé par le sort de tant de femmes qui ont subi des violences, dont les maris ont été enlevés ou tués, dont les enfants ne sont toujours pas revenus à leurs côtés à ce jour. »
– Filippo Grandi, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, sur France 24
L’hôte
« En tant que chef, il est de mon devoir d’accueillir ceux qui viennent me demander de l’aide. »
– Dianbendé, 67 ans
Dianbendé, un chef communautaire, accueille plus de 2500 Burkinabés déplacés dans et autour de sa propriété. Leur nombre augmente chaque jour. Il leur offre de la nourriture, un abri et de l’eau – souvent à ses frais. Souffrant d’un handicap sur une de ses jambes, il se déplace difficilement et a du mal à subvenir aux besoins de sa famille, mais il accueille chaque nouvel arrivant.
« Au début, nous pensions qu’ils ne faisaient que tuer des hommes. Mais ensuite, nous avons réalisé qu’ils tuaient aussi des femmes et des enfants », a déclaré Dianbendé. « Je suis handicapé. Je n’ai rien à donner. Mais il est de mon devoir d’essayer d’améliorer leur situation. »
Le nombre de déplacés internes au Burkina Faso a décuplé l’année dernière, dépassant aujourd’hui les 800 000. Plus de 90% des déplacés internes vivent dans des familles d’accueil et le HCR estime qu’à travers tout le pays, plus de 35 000 familles ont besoin d’un abri.
Le volontaire
« Les réfugiés me disent que mon action est noble mais, honnêtement, j’ai peur. Je prends ces risques car j’aime mon travail. Mon engagement consiste à défendre nos droits humains. »
– Ilyas, 30 ans
Ilyas travaille pour le HCR dans le cadre du programme des Volontaires des Nations Unies dans la ville de Djibo et le camp de réfugiés de Mentao, au nord du Burkina Faso. Les conditions de travail sont si risquées qu’il est l’un des deux seuls employés du HCR dans ces camps. Il aide à garantir que les réfugiés ont accès à la nourriture, à l’eau et à un abri. En tant que réfugié malien, il se sent honoré de travailler pour le HCR, mais il craint de constituer une cible.
Au Burkina Faso, des groupes armés ont tué des fonctionnaires, des professionnels de santé, des enseignants et d’autres symboles de l’État. Parfois, ils ont également pris pour cible des organisations humanitaires, volant des véhicules et kidnappant du personnel.
La mère
« Ma fille a paniqué quand elle a entendu les tirs et désormais elle panique tout le temps. Tout ce que je souhaite, c’est un jour où ma fille n’aura aucune crise de panique. »
– Leila, 30 ans
Leïla a fui la violence au Mali en 2012 et a vécu dans le camp de réfugiés de Goudoubo jusqu’en 2019, date à laquelle des hommes armés à moto ont attaqué le camp à trois reprises.
Rahmata, la fille de Leïla âgée de 10 ans, a été témoin de l’une de ces attaques. Depuis, elle n’a plus jamais été la même. Leïla témoigne être elle-même « profondément » affectée par le nombre de personnes montrant des signes de détresse psychologique dans ce contexte d’insécurité croissante.
« Ça fait vraiment mal. C’est difficile d’être une mère et de voir son enfant dans cet état », dit-elle. « Je continue de prier pour la paix. »
Jusqu’à la toute dernière flambée de violence, près de 9000 réfugiés vivaient à Goudoubo, mais environ la moitié d’entre eux sont depuis rentrés au Mali, tandis que les autres ont rejoint d’autres localités au Burkina Faso. Le camp est désormais vide.
L’humanitaire
« Cette situation est très douloureuse pour moi. Mon pays est attaqué et nous ne pouvons pas assurer aux gens la protection qu’ils méritent. »
– Eric
Né et élevé au Burkina Faso, Eric travaille en tant qu’employé du HCR en charge de l’enregistrement dans le nord-est du pays, non loin des frontières avec le Niger et le Mali. Il travaille dans le camp de Goudoubo depuis 2012, lorsque les réfugiés maliens ont commencé à rejoindre son pays en quête de sécurité. Il ressent un lien de parenté avec les réfugiés dont il participe à la prise en charge.
« Je suis comme un frère pour les réfugiés, et eux le sont également pour moi », a-t-il déclaré.
Alors que le conflit s’est désormais étendu à son pays, Eric explique que les réfugiés lui offrent leur soutien. Ils compatissent à sa tristesse. Maintenant que les zones où vivent les réfugiés sont plus dangereuses, Eric ne peut plus les voir aussi souvent, voire plus du tout. Il se sent « faible et inquiet ».
Selon une étude du HCR, 38% du personnel travaillant directement auprès des réfugiés ou des personnes déplacées risquent de subir un stress traumatique secondaire, un trouble qui peut entraîner un épuisement physique, mental et émotionnel.
Prévalant chez les personnes qui travaillent sous stress émotionnel pendant de longues périodes, ce trouble peut rendre impossible l’accomplissement des fonctions quotidiennes normales et provoquer des sentiments négatifs envers soi-même ou le monde.
Le Local
« Leur arrivée a bouleversé notre vie, mais nous ne pouvons pas les rejeter. On ne va pas leur dire de repartir pour aller se faire tuer… »
– Yobi
Yobi Sawadogo est conseiller auprès du maire de Kaya, une ville qui comptait 66 000 habitants lors de son dernier recensement (en 2012) et qui accueille aujourd’hui plus de 300 000 Burkinabés déplacés. Le gouvernement local accueille les personnes dans le besoin, mais l’afflux de nouveaux arrivants a radicalement changé la vie quotidienne. Les files d’attente pour aller chercher de l’eau s’allongent et les centres de santé deviennent surpeuplés. Les marchés sont toujours bien approvisionnés, mais seulement parce que ceux qui ont fui ici n’ont pas d’argent pour acheter de la nourriture.
Malgré les difficultés, Yobi a déclaré que sa ville continuera à accepter ceux qui sont arrivés en quête de sécurité, à la fois par solidarité et par peur. « Nous disons que ce qui leur est arrivé pourrait nous arriver aussi », a-t-il dit. « Nous ne pouvons pas refuser les gens. »
Jusqu’en 2016, le Burkina Faso était un modèle de coexistence relativement pacifique entre des communautés ethniquement diverses, et un refuge pour les réfugiés. A ce jour, la violence y est sans précédent, et le gouvernement s’efforce de gérer l’ampleur des besoins humanitaires. Mais pour l’instant, beaucoup dorment en plein air, exposés aux éléments et à d’autres dangers, et ont un besoin aigu d’un meilleur accès à l’eau et à des installations sanitaires.
Le HCR recherche 255 millions de dollars après des donateurs dans le monde pour soutenir les efforts du gouvernement afin de combattre le Covid-19 dans les zones accueillant des réfugiés et des déplacés internes.
Pour soutenir notre travail au Sahel et dans d’autres régions confrontées aux déplacements de population et au coronavirus donnez maintenant.
Publie par le HCR, le 17 avril 2020