Grâce à leur entreprise immobilière, les Grochowski ont fourni un logement à des milliers de personnes fuyant la guerre en Ukraine, mais leur action en faveur des autres va bien au-delà
Par Charlie Dunmore à Siedlce, Pologne
Âgé de 71 ans, le promoteur immobilier polonais Władysław Grochowski est un chef d’entreprise atypique. Il prend ses appels professionnels sur un téléphone à clapet rétro et s’abstient d’utiliser le courrier électronique, préférant correspondre à l’aide d’un stylo et de papier. Il s’absente régulièrement du bureau pour s’occuper de son troupeau de daims, qu’il piste à vélo à travers la campagne polonaise.
Sa philosophie des affaires s’affranchit également des conventions. Au cours des dernières années du communisme en Pologne, ce diplômé d’une école de cinéma a créé une entreprise agricole prospère à une époque où d’autres entrepreneurs se lançaient dans des industries plus modernes. Il a ensuite lancé sa société immobilière dénommée Arche au début des années 1990, en rénovant des bâtiments historiques négligés qui sont devenus les joyaux d’une chaîne hôtelière prospère.
« Dans les affaires, l’argent est pour moi un élément tout à fait secondaire. Je n’ai jamais vu de business plan », confie Władysław, les yeux pétillants au-dessus de sa moustache blanche comme neige, que l’on voit souvent sur les panneaux publicitaires de sa ville natale de Siedlce. « Gagner de l’argent ne m’a jamais intéressé. J’ai toujours voulu être utile ou m’impliquer quelque part. Je me laisse guider par mes émotions. »
Rien d’étonnant donc au fait que, lorsque lui et son épouse Lena, une artiste, créent la Fondation Lena Grochowska en 2014 pour mener à bien leur action humanitaire, celle-ci ait également évolué vers un projet hors du commun.
La fondation a commencé par aider les descendants rapatriés des Polonais exilés en Asie centrale sous le communisme, avant de s’étendre à d’autres personnes, notamment les personnes handicapées, les sans-abris et les anciens prisonniers. Soutenue par l’entreprise immobilière des Grochowski, la fondation a notamment fourni des logements dans des bâtiments appartenant au groupe Arche, le plus grand opérateur hôtelier privé de Pologne et l’un de ses plus grands promoteurs immobiliers.
À la suite de l’invasion de l’Ukraine en février 2022, plus de 1,5 million de réfugiés ont cherché à se mettre à l’abri dans la Pologne voisine. Au cours de l’année suivante, la fondation a fourni aux réfugiés plus de 500 000 nuits d’hébergement gratuit, tandis que pour la seule année 2022, elle a investi 4,5 millions de dollars dans des logements à plus long terme pour les familles ukrainiennes, notamment en ouvrant des centres d’hébergement dans six villes polonaises.
Favoriser l’indépendance
« Il est vraiment difficile d’imaginer ce que les gens ressentent lorsqu’ils doivent s’enfuir de chez eux », déclare Lena. « C’est une tragédie incroyable. Nous aidons autant que nous le pouvons », renchérit-elle. Mais le couple a compris que s’il était vital de répondre aux besoins fondamentaux des réfugiés, tels que la nourriture et le logement, cette aide ne pouvait suffire à elle seule.
« Il faut que chacun soit accueilli avec dignité », souligne Władysław. « La dignité passe par le travail. C’est pourquoi, dans nos foyers de réfugiés, nous ne nous contentons pas de lâcher les gens et leur fournir une [aide] toute prête. Les gens sont actifs et cherchent du travail. L’indépendance est une force. »
« La dignité passe par le travail. »
S’inspirant de la passion artistique de Lena, la fondation a créé des ateliers professionnels dans lesquels des dizaines de réfugiés et de Polonais travaillent côte à côte pour produire des céramiques ornées, des œuvres d’art et d’autres produits artisanaux vendus en ligne et dans les hôtels du groupe Arche. Ils ont également créé une chaîne de cafés à Siedlce, Varsovie et Gdańsk, où des personnes handicapées vendent du pain et des pâtisseries traditionnels produits dans la boulangerie de la fondation. Dans chacun de ces établissements, le sens du travail d’équipe et de la communauté est évident.
« Les activités de la fondation s’articulent autour de l’art au sens large, de la culture et de la tradition », explique Lena. « L’art et les affaires sont étroitement liés, et c’est très intéressant. Je pense que l’art apporte beaucoup. Il change le monde, il change les gens. »
En reconnaissance de leur soutien aux réfugiés et à d’autres personnes en Pologne, Lena Grochowska et Władysław Grochowski sont désignés lauréats régionaux 2023 pour l’Europe de la distinction Nansen pour les réfugiés du HCR.
- Voir aussi : Un ancien réfugié lauréat de la distinction Nansen pour son action en faveur de l’éducation des enfants déracinés
« Cette distinction est décernée à tous les membres de la fondation », indique Lena. « Nous ne pourrions rien faire sans la contribution de tous. Mais en travaillant ensemble, nous pouvons vraiment faire beaucoup. C’est de cela qu’il s’agit. ».
« Nous ne pourrions rien faire sans la contribution de tous. »
Ludmila, 38 ans, compte parmi les personnes qui ont réussi à s’en sortir grâce au soutien des Grochowski et de leur fondation. Elle est arrivée à Siedlce en mars 2022 avec ses deux enfants, après avoir fui son domicile près de Kyiv où elle avait passé trois semaines à l’abri des combats dans un sous-sol de leur immeuble.
La famille a séjourné chez des amis avant de louer un appartement en colocation, mais Ludmila, coiffeuse de métier, n’a pu trouver que des petits boulots tels que le nettoyage et la cueillette de champignons pendant qu’elle apprenait le polonais, et elle n’avait plus beaucoup d’argent ni d’options. C’est alors qu’un ami lui a parlé de la fondation, qui recrutait une réceptionniste pour travailler dans le foyer de réfugiés qui venait d’ouvrir dans la ville.
Non seulement elle a obtenu le poste, mais elle et ses enfants ont également eu droit à leur propre petit appartement dans le nouveau foyer. « C’est seulement lorsque nous avons eu la possibilité de vivre seuls dans notre petit havre de paix que nous avons commencé à nous sentir en sécurité », souligne Ludmila. « Sans travail, on n’est jamais sûr du lendemain ».
Ludmila (à gauche), une réfugiée ukrainienne, coiffe les cheveux d’une cliente dans son salon à Siedlce, en Pologne. © HCR/Anna Liminowicz
Grâce à la stabilité acquise en vivant et en travaillant à l’auberge, Ludmila s’est sentie prête à prendre un risque lorsqu’une amie ukrainienne, Oksana, a déménagé et lui a proposé de racheter son salon de coiffure dans le centre-ville de Siedlce. Elle a rebaptisé l’entreprise « Oxygen », en référence au prénom de son amie et à l’aide qu’elle a reçue de la fondation.
« La fondation fait quelque chose de vraiment important pour les Ukrainiens », explique-t-elle. « Elle nous a donné la possibilité – comme un bol d’air frais – de travailler et de nous relever d’une manière ou d’une autre dans un pays étranger. »
Sources d’inspiration
Par leur exemple, les Grochowski ont incité d’autres entreprises à leur emboîter le pas. Konstanty Strus, un autre promoteur immobilier de Siedlce, connaît le couple depuis le début des années 1980 et est marié à la sœur de Władysław. Après le début de la guerre en Ukraine, il a offert au couple un hôtel pour travailleurs qu’il possédait et qui devait être démoli pour faire place à un nouveau projet destiné à héberger des réfugiés ukrainiens.
« Le travail de Władysław et de Lena est inestimable, ils sont des modèles pour d’autres entreprises en Pologne », a déclaré Strus. « Władysław est une personne très humble … qui inspire les autres sans les forcer, ni leur demander quoi que ce soit. Lena apporte sa chaleur à la fondation et adopte toutes les personnes qui travaillent avec elle. »
Les Grochowski continuent à explorer de nouveaux moyens de renforcer l’autonomie des personnes aidées par leur fondation. Dans l’un des champs qui entourent leur maison dans la campagne, à 30 minutes de Siedlce, ils construisent un grand bâtiment circulaire en bois au cœur d’une nouvelle ferme écologique qui fournira des logements et du travail à des personnes handicapées.
Władysław fait part de sa conviction que l’aide aux réfugiés ne doit pas être considérée comme un acte de charité, mais comme quelque chose de bénéfique pour les sociétés.
« Je pense que le problème des réfugiés va s’aggraver, et nous ne pouvons pas nous renfermer sur nous-mêmes ou ériger davantage de murs », déclare-t-il. « Ils peuvent apporter énormément, et en les excluant, nous perdons malheureusement beaucoup. »
« Ce sont de bonnes personnes qui se sont retrouvées dans une situation difficile, que ce soit à cause des guerres ou du changement climatique… Plus nous serons nombreux à être solidaires, plus nous pourrons construire un monde et un avenir magnifiques. »
Publie par le HCR, le 28 novembre 2023.