Dans certains villages isolés, les difficultés d’accès aux services de santé et le manque de personnel qualifié mettent en péril la vie des mères et de leurs enfants
Par Caroline Gluck dans la province de Bamyan, Afghanistan
Dans sa petite maison en terre battue située dans le joli village isolé de Qala-e-Jaroo, dans la vallée de Qazan, dans la province afghane de Bamyan, Rahela, mère de deux enfants, évoque calmement la perte de son troisième enfant à la suite d’une fausse couche quelques mois plus tôt.
Agée de 24 ans, la jeune femme a été réveillée au milieu de la nuit par des contractions et des saignements, au sixième mois de sa grossesse. Elle savait qu’elle devait se faire aider. Mais comme il n’y avait pas de sage-femme dans le village, elle et sa famille ont dû se rendre à la clinique la plus proche, à environ deux heures de route. Elle a d’abord dû dévaler des chemins de montagne escarpés depuis le village pour atteindre la route. La voiture qu’ils avaient appelée n’arrivant pas, ils ont dû poursuivre à pied.
« J’ai eu beaucoup de douleurs et de saignements », confie Rahela. « Mon bébé est mort dans mon ventre parce que nous avons dû marcher pendant une grande partie du trajet. »
À la clinique, le personnel l’a informée que son bébé était décédé et qu’elle devait se rendre à l’hôpital provincial, situé à plusieurs heures de marche.
Former des sages-femmes pour lutter contre les taux élevés de mortalité infantile en Afghanistan
Les histoires comme la sienne ne sont malheureusement pas rares dans les provinces montagneuses de Bamyan et Daikundi, en particulier pendant les mois d’hiver lorsque les fortes chutes de neige et les avalanches isolent parfois les villages des routes et des services publics pendant plusieurs mois. L’Afghanistan a l’un des taux de mortalité infantile et maternelle les plus élevés au monde. En 2020, l’Organisation mondiale de la santé estimait que 24 femmes afghanes mouraient chaque jour en couches ou pendant leur grossesse.
C’est un problème que connaissent bien les jeunes sages-femmes en formation qui prennent part à un programme diplômant de deux ans soutenu par le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés.
Dans une salle de classe de la ville de Bamyan, où ces femmes sont formées, Masoma, une stagiaire de 22 ans, raconte comment sa mère, enceinte de sept mois, a perdu son bébé plusieurs années auparavant alors qu’elle tentait de rejoindre un hôpital en hiver.
Elle a glissé sur une plaque de glace en essayant d’atteindre la route, et s’est cassé le poignet, coupé la jambe et a commencé à saigner abondamment au niveau de son doigt et de sa cuisse. « Des hommes ont dû transporter ma mère dans une brouette, et il a fallu huit ou neuf heures avant qu’elle n’atteigne l’hôpital », raconte-t-elle.
« Mon frère est mort dans le ventre de ma mère. Et elle a perdu un doigt », poursuit-elle. « Elle était très faible parce qu’elle avait perdu beaucoup de sang. Elle a failli perdre la vie elle aussi. Elle a été hospitalisée pendant un mois. »
C’est alors que Masoma, qui était encore à l’école à l’époque, s’est mise en tête de faire en sorte que d’autres personnes ne soient pas confrontées à des situations similaires. « Je poursuis mes études avec passion et enthousiasme. Je veux pouvoir servir ma communauté. »
Une occasion en or
Les 80 femmes qui participent au programme de formation des sages-femmes sont issues de familles modestes et viennent de régions isolées. Elles affichent toutes une grande motivation, notamment parce que cette formation est l’une des rares opportunités encore offertes aux femmes afghanes de poursuivre leurs études, puisqu’elle relève du secteur de la santé, qui est exempté des interdictions introduites par les autorités afghanes en 2021. Celles-ci interdisent aux femmes de travailler dans de nombreux domaines et d’aller à l’école ou à l’université après la 6e année d’études.
« C’est une occasion en or pour ces jeunes femmes de pouvoir continuer à étudier, de jouer un rôle actif dans la société et de servir leurs communautés », explique Najiba Ahmadi, responsable de terrain auprès de l’association WSTA (Watan Social and Technical Service Association), partenaire du HCR, qui gère le programme de formation des sages-femmes.
Elle raconte que lorsque le projet a été lancé, l’association a été inondée de demandes. « Aujourd’hui encore, chaque jour, des centaines de filles viennent au bureau pour demander si nous prévoyons une autre formation afin qu’elles puissent y participer. »
Des souffrances inacceptables
La bonne nouvelle est que le HCR prévoit de mettre en place un autre programme de deux ans dans les deux provinces l’année prochaine et espère lancer des formations similaires dans d’autres provinces l’année suivante.
Mais il reste encore un long chemin à parcourir pour parvenir à réduire les taux inacceptables de mortalité maternelle et infantile en Afghanistan. Un superbe tableau cousu à la main et accroché à l’hôpital provincial de Bamyan, où les apprenties sages-femmes sont formées, montre une femme transportée par deux hommes sur un brancard en bois, après qu’elle soit morte en couches en tentant de rejoindre l’hôpital le plus proche, situé à 120 kilomètres de là.
De retour dans le village de Qazan, Rahela, qui a perdu son troisième enfant, discute avec Shukria, l’une des apprenties sages-femmes, originaire du même village. « Si nous pouvions avoir des sages-femmes comme Shukria ici, alors les choses iraient mieux et nous serions heureuses », dit-elle. Son mari, Ahmad, un agriculteur, acquiesce. « S’il y avait plus de médecins et de cliniques dans la région, les problèmes des femmes seraient résolus plus rapidement. »
Pour Shukria, 22 ans, cette visite à domicile ne fait que renforcer sa détermination à revenir dans sa communauté en tant que sage-femme pleinement formée.
Elle conclut : « Chaque fois que je viens au village et que je vois des mères comme Rahela, je suis motivée pour travailler plus dur et étudier davantage, afin de devenir une bonne sage-femme et de pouvoir prévenir la mort de ces mères et de ces enfants. »
Publie par le HCR, le 25 octobre 2023.