A person looks left at the camera which is slightly to their right, as their body faces further right. They wear a white dress and colourful bag while stood in front of a low river.

Esneda Saavedra sur la rive du fleuve Maracas, pollué par l’exploitation minière, menaçant ainsi la survie de la communauté Yukpa dans la région de Serranía del Perijá en Colombie. © HCR/Marina Calderon

La communauté Yukpa, à laquelle appartient Esneda Saavedra, a enduré des décennies de conflits et de déplacements. Alors que les crises climatiques et les perturbations affectant la biodiversité menacent désormais leur survie, elle fait entendre sa voix lors de la COP16

Par Johnny Meneses et Biel Calderón à Serranía del Perijá, Colombie


Pour Esneda Saavedra, le militantisme n’est pas un choix mais une question de survie.


Elle appartient au peuple autochtone Yukpa, qui vit depuis des siècles dans la Serranía del Perijá, une chaîne de montagnes boisées située à l’extrême nord des Andes et qui s’étend sur la frontière entre la Colombie et le Venezuela. Mais depuis quelques décennies, les conflits, les déplacements forcés, l’exploitation des ressources naturelles et le changement climatique menacent leur mode de vie.

Née dans la réserve de Sokorpa en Colombie – l’une des localités habitées par les quelque 15 000 Yukpas –, Esneda a été formée au militantisme dès son plus jeune âge par sa mère, cheffe traditionnelle Yukpa. « Enfant, j’étais toujours à ses côtés. J’ai pris ce rôle de cheffe de file par nécessité », se souvient-elle. « Je suis née pour défendre notre terre et notre peuple. »

Depuis l’époque coloniale, la violence a forcé à plusieurs reprises les Yukpa à fuir la terre dont dépend leur survie, tant physique que culturelle. Alors qu’elle n’avait que huit ans, le père d’Esneda a été assassiné par des groupes armés non étatiques qui, avec d’autres, ont exploité à plusieurs reprises des pans entiers de leur territoire ancestral. Elle-même a été prise pour cible pour s’être exprimée.

Une culture en péril

Le mode de vie des Yukpa est profondément lié à la nature, mais ce lien est menacé. Les forêts des plaines ont été défrichées pour l’élevage, la monoculture, l’exploitation minière et les cultures illégales, transformant des terres autrefois fertiles en sols stériles et réduisant la rivière Maracas à un simple ruisseau.

« L’exploitation minière pollue l’air et les rivières, qui s’assèchent », explique Esneda. La pêche, la chasse et l’agriculture traditionnelles sont devenues pratiquement impossibles, car les communautés sont déplacées de force vers les zones les plus élevées et les plus sèches de la Serranía del Perijá, où elles tentent de survivre en cultivant des haricots, du maïs et du manioc. Isolées et privées d’accès à l’eau et aux terres fertiles, la malnutrition et les maladies respiratoires sont devenues monnaie courante, entraînant la mort de 15 à 20 enfants chaque année.

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Des membres de la communauté Yukpa pêchent et se détendent dans la rivière Maracas dans la réserve Des membres de la communauté Yukpa pêchent et se détendent dans la rivière Maracas dans la réserve de Sokorpa © HCR/Marina Calderon
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Martha Luz Restrepo, responsable Yukpa qui a inspiré le militantisme de sa fille Esneda, aux côtés d'une Martha Luz Restrepo, responsable Yukpa qui a inspiré le militantisme de sa fille Esneda, aux cotes d'une jeune fille de la communauté Sokorpa © HCR/Marina Calderon
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Une femme Yukpa avec son cheval et son poulain dans la réserve forestière de Sokorpa. © HCR/Marina Calderon

« La dégradation de la nature affecte la sécurité alimentaire, la santé et la culture de mon peuple », explique Esneda, ajoutant que les plantes qu’ils utilisent pour soigner les maladies gastro-intestinales et d’autres maladies se raréfient. L’épuisement des ressources naturelles porte également atteinte à leurs pratiques culturelles. « Notre artisanat – des paniers et des nattes – a disparu parce que les matériaux dont nous avons besoin ont disparu ».

Les effets croissants du changement climatique aggravent une situation déjà désastreuse. Les conditions météorologiques imprévisibles perturbent les cycles agricoles. Les sécheresses et les pluies diluviennes sont de plus en plus fréquentes. « Notre calendrier nous indique quand semer et récolter, mais les conditions météorologiques sont chaotiques, et la terre ne produit plus assez de nourriture », indique Esneda.

Retrouver ce qui a été perdu

Ces dernières années, les Yukpa ont œuvré à la restauration de leurs rivières et de leurs forêts. « Nous essayons de retrouver la biodiversité de notre terre parce qu’elle est unique », indique Luis Uribe, chef autochtone et compagnon d’Esneda.

En 2017, les Yukpa ont obtenu une décision de justice suspendant l’exploitation minière sur leur territoire, mais les menaces persistent. Esneda – la première femme à être élue gouverneure du Yukpa – a souligné la nécessité de protéger le riche patrimoine naturel de la région et de maintenir une relation harmonieuse avec la nature. « Sokorpa est protégé pour sa valeur environnementale. Des centaines d’oiseaux, d’animaux et de plantes, dont certains sont menacés, vivent dans ces forêts », souligne-t-elle.

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Esneda participe à un rituel Yukpa traditionnel avec des membres de sa communauté. © HCR/Marina Calderon
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Esneda avec son partenaire Luis Uribe (à droite) et d'autres membres de sa famille. © HCR/Marina Calderon
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Un village Yukpa dans la réserve de Sokorpa dans la région de Serranía del Perijá en Colombie. © HCR/Marina Calderon

Le 1er novembre, Esneda s’adressera à la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité (COP16) à Cali, en Colombie. Elle y évoquera son parcours et les efforts déployés par son peuple pour protéger la nature et leur mode de vie. Elle se fera également la porte-parole de millions d’autres personnes à travers le monde, confrontées aux déplacements forcés et aux problèmes croissants en matière de climat et de biodiversité.

« La chose la plus importante pour moi, en tant que femme Yukpa, a été de faire connaître notre peuple et notre territoire », affirme-t-elle. « Nous poursuivons notre lutte, mais nous allons aussi aider le reste du monde à résister pour protéger l’environnement, la terre et l’air ».

Une menace mondiale

Le travail d’Esneda dépasse déjà les frontières de sa propre communauté. En tant que conseillère en droits humains pour l’Organisation nationale des peuples autochtones de Colombie (ONIC), qui représente 57 organisations, et en tant que porte-parole des femmes autochtones au sein du groupe de travail national sur les victimes des conflits armés, elle défend les droits des peuples autochtones au niveau national.

Soutenu par le HCR, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, l’ONIC mène des actions de plaidoyer auprès des institutions, des autorités et des décideurs aux niveaux local et national. L’objectif d’Esneda est de sensibiliser le public, d’accroître la visibilité et de trouver des solutions pour les communautés autochtones toujours affectées par la violence et les déplacements forcés malgré l’accord de paix conclu en 2016 par la Colombie avec le plus grand groupe armé irrégulier du pays, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

Depuis 1985, près de 694 000 personnes autochtones ont été déplacées de force par le conflit armé colombien, selon l’Unité nationale des victimes, dont plus de 73 000 rien qu’entre 2022 et 2024.

Alors que le peuple Yukpa se trouve déjà dans une situation de lutte pour sa survie, Esneda insiste sur le fait que les menaces posées par l’urgence climatique et la perte de biodiversité affecteront tout le monde, en tout lieu. Le seul espoir de solution réside dans l’action collective.

« Nos voix doivent s’unir pour le bien de notre mère la Terre, de l’eau, des arbres et de toute vie », conclut-elle. « Ensemble, nous devons protéger la vie de nos enfants et de toutes les personnes qui vivent sur cette planète ».

Publie par le HCR, le 31 Octobre 2024.

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