Ibrahim Abdulrahman inside the classroom he shares with dozens of other forcibly displaced families in Kosti in Sudan’s While Nile State. © UNHCR/Samuel Otieno

Toute une génération est confrontée à un avenir incertain, car les violences incessantes au Soudan perturbent les activités scolaires pour des millions de personnes

Par Moulid Hujale à Kosti, Soudan


Lorsque le nom d’Ibrahim Abdulrahman a été annoncé à la radio nationale comme étant celui de l’élève le plus performant aux examens de fin d’études secondaires du pays en 2020, sa réussite a été célébrée par tous dans son petit village montagneux d’Al-Dambaire, dans l’État du Kordofan du Nord, au Soudan.


Lorsque le nom d’Ibrahim Abdulrahman a été annoncé à la radio nationale comme étant celui de l’élève le plus performant aux examens de fin d’études secondaires du pays en 2020, sa réussite a été célébrée par tous dans son petit village montagneux d’Al-Dambaire, dans l’État du Kordofan du Nord, au Soudan.

« Mes amis sont restés bouche bée face à cette nouvelle », relate Ibrahim. « J’ai couru vers mes parents et leur ai dit que j’avais obtenu la meilleure note au Soudan ».

Il a décrit l’atmosphère festive qui régnait dans le village lorsque des notables locaux, y compris des représentants du gouvernement, se sont rendus à son école le lendemain pour le féliciter.

« C’était un grand moment de bonheur pour moi », se souvient-il.

Des rêves en suspens

Dès qu’il a appris la nouvelle, Ibrahim a su exactement ce qu’il voulait accomplir par la suite. L’année suivante, il s’est inscrit à l’université de Khartoum pour étudier l’agriculture et poursuivre son rêve de longue date de devenir ministre de l’Agriculture de son pays.

Ce rêve a brusquement été mis en veilleuse à peine deux ans plus tard, lorsque de violents combats ont éclaté dans la capitale, Khartoum.

« Nous espérions que la situation s’améliorerait afin que nous puissions poursuivre notre travail et nos études », explique Ibrahim. « Mais les combats se sont intensifiés jour après jour. Au bout d’un mois, j’ai pris la décision de rentrer chez moi, au Kordofan du Nord, auprès de ma famille ».

La guerre au Soudan, qui en est à sa deuxième année, a perturbé l’éducation de millions de jeunes. Selon les Nations Unies, plus de 90% des 19 millions d’enfants soudanais en âge d’être scolarisés n’ont pas accès à l’éducation formelle (lien en anglais).

« En privant les enfants et les jeunes d’éducation, le conflit leur vole leur avenir », souligne Kristine Hambrouck, représentante au Soudan du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. « L’éducation des leaders potentiels comme Ibrahim est en péril. Leurs rêves sont brisés par la violence et les déplacements ».

La pire crise de déplacement au monde

Depuis le 15 avril 2023, date à laquelle la guerre a éclaté, plus de 10 millions de personnes ont fui leur foyer au Soudan. Ce chiffre inclut plus de 2 millions de personnes qui ont trouvé refuge dans les pays voisins en quête de sécurité. Il s’agit actuellement de la pire crise de déplacement au monde.

Dans le village d’Ibrahim, dans le Nord-Kordofan, des groupes armés pillaient les récoltes et forçaient les gens à abandonner leurs fermes. Lui et sa famille ont rejoint des centaines d’autres personnes des villages environnants et ont fui pour sauver leurs vies.

Après 15 jours de voyage, parfois en se cachant dans les buissons, ils ont atteint la ville de Kosti, dans l’État du Nil Blanc.

« J’étais heureux d’être en sécurité », confie Ibrahim. « Nous sommes très reconnaissants envers ceux qui ont fourni de la nourriture et un abri à ma famille et aux autres lorsque nous sommes arrivés ici ».

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Ibrahim et sa famille partagent actuellement cette ancienne salle de classe de Kosti avec environ 80 autres personnes avec leurs effets personnels. © HCR/Samuel Otieno
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Ibrahim (à droite) discute avec des amis à l'extérieur de l'école Aldawaa où lui et d'autres personnes déplacées sont logés à Kosti. © HCR/Samuel Otieno
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Ibrahim passe en revue les diplômes qu'il a apportés avec lui à Kosti, en compagnie de sa mère et de sa grand-mère. © HCR/Samuel Otieno

Dans le seul État du Nil Blanc, 1,3 million de Soudanais vivent dans des camps ou sont hébergés par des communautés locales.

Cet afflux sans précédent a mis à rude épreuve les ressources déjà limitées des communautés et les services publics tels que les soins de santé et l’approvisionnement en eau.

Le HCR travaille en coordination avec le gouvernement et d’autres agences humanitaires pour fournir aux personnes déplacées comme Ibrahim et sa famille une assistance vitale, notamment de la nourriture, de l’eau, des soins de santé, des articles ménagers et de l’argent liquide. Mais les besoins ne cessent de croître.

« Le HCR et les autres organisations humanitaires présentes au Soudan ne disposent pas de ressources suffisantes pour atteindre toutes les personnes les plus vulnérables. Nous avons besoin de toute urgence d’un soutien supplémentaire pour intensifier notre réponse », indique Kristine Hambrouck.

Un futur compromis

Partout dans le pays, les écoles ont été transformées en abris pour les personnes déplacées. La famille d’Ibrahim est hébergée dans une école primaire où jusqu’à 80 personnes sont entassées dans une seule salle de classe, sans intimité ni espace suffisant pour dormir. L’un des murs est couvert de suie noire causée par le feu de bois que les familles utilisent pour cuisiner.

Pour Ibrahim, se réveiller chaque jour dans cette salle de classe est un rappel brutal des possibilités qui lui échappent. Mais il ne renonce pas à ses rêves pour autant.

« J’espère qu’un jour la situation s’améliorera au Soudan et que la guerre cessera », indique-t-il. « Nous reprendrons une vie normale et nous retournerons dans nos universités ».

« J’ai toujours l’espoir de devenir ministre de l’agriculture ou expert économique. »

Publie par le HCR, le 14 août 2024.

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